Neurobloc® : la toxine du troisième millénaire ?

 

(Docteur Marion Simonetta Moreau - Service de Neurologie CHU Purpan Toulouse)

 Une nouvelle toxine botulinique Neurobloc® sera très prochainement commercialisée en Europe et aux Etats Unis par le groupe irlandais Elan Pharma. Il s'agit d'un complexe formé par une protéine haemagglutinine et la neurotoxine botulinique de type B purifiée. Comme les deux toxines A déjà disponibles sur le marché depuis 7 ans (Dysport® commercialisée par Beaufour Ipsen Biotech et Botox® commercialisée par Allergan), Neurobloc® bloque la libération d'Actetyl-Choline au niveau des jonctions neuro-musculaires, entraînant une paralysie musculaire. Son mécanisme d'action à l'échelle moléculaire est cependant sensiblement différent des neurotoxines A Neurobloc® sera disponible sous forme liquide prête a l'emploi en solution à 5000 U/mI, en 3 présentations 2500 U, 5000 U et 10000 U.

Le produit sera administré par voie intramusculaire et uniquement par un médecin spécialisé ayant l'expérience du traitement de la dystonie cervicale et de l'emploi des toxines botuliques" (d'après le document fourni par Elan Pharma).

L'efficacité clinique et la bonne tolérance de Neurobloc® ont été démontrées par des études préliminaires chez l'animal et chez l'Homme. Les études pharmacologiques à dose unique pratiquées chez le singe n'ont mis en évidence aucun autre effet que la paralysie attendue des muscles intéressés et liée à la dose injectée.

Une diffusion locale de la toxine injectée à plus forte dose a été observée dans les muscles voisins non visés par l'injection, produisant des effets parétiques similaires. La dose entraînant la mort de l'animal a été évaluée à 2400 U/kg. Chez l'homme, des doses allant jusqu'à 15000 U n'ont pas entraîné de toxicité systémique (passage dans le sang).

Trois études contrôlées en double aveugle contre placebo ont été réalisées sur un total de 308 patients souffrant de dystonie cervicale, qu'ils soient résistants ou toujours répondeurs à la toxine A. La première, (Lew et coll, 1997), portait sur 122 patients, résistants ou non à la toxine A, répartis en 4 groupes, recevant soit une dose de toxine B à 2500 U, 5000 U ou 1 0000 U, soit du placebo. L'efficacité clinique de la toxine B était évaluée par l'échelle de Toronto (score TWSTRS). Quatre semaines après l'injection, une diminution significative des scores était observée pour les 3 groupes recevant la toxine B.

La durée d'efficacité n'a pas été évaluée dans cette étude préliminaire. Une autre étude multicentrique très récente, (Brashear et coll 1999), portant sur 109 patients répondeurs à la toxine A a confirmé ces résultats en montrant, 4 semaines après l'injection, une diminution significative du score total d'évaluation clinique de Toronto de 9.3 points pour le groupe de patients ayant reçu 5000 U de Neurobloc® et de 11.7 points pour le groupe ayant reçu 10000 U de produit actif contre 4.3 pour le groupe placebo.

Le groupe ayant reçu 10000 U était globalement le plus amélioré. Des résultats comparables ont été rapportés par une troisième étude portant sur 77 patients souffrant de dystonie cervicale et résistants à la toxine A, (Brin et coll 1999), avec une dose de 1 0000 U de Neurobloc® versus du placebo. La durée d'efficacité clinique de l'injection de toxine B était de 12 à 16 semaines pour ces deux dernières études.

Dans ces trois études, les effets indésirables les plus fréquemment observés étaient une sécheresse de la bouche (environ 42 % des patients) et des difficultés pour déglutir (33 à 53 % des patients). Ces effets indésirables étaient doses-dépendants et généralement bien tolérés, ne nécessitant aucune surveillance particulière. Aucun cas d'hypotonie du cou n'était signalé.

Face aux deux produits déjà commercialisés quelles sont les attentes des patients et des médecins ?

La toxine du troisième millénaire devra être efficace plus longtemps, d'utilisation plus pratique, coûter si possible moins cher et être la plus pure possible pour éviter la production des anticorps. La nouvelle toxine Neurobloc® ne semble répondre que partiellement à cette attente. Son utilisation pratique sera effectivement plus facile car il s'agit d'un produit prêt à l'emploi, ne nécessitant pas de reconstitution avec du sérum physiologique.

La possibilité d'avoir à disposition 3 présentations différentes, l'une de 0.5 ml contenant 2500 U, l'autre de 1 mi contenant 5000 U et enfin de 2 ml contenant 10000 U devrait permettre une utilisation plus souple adaptée à chaque patient et éviter de gaspiller du produit. Neurobloc® semble avoir une bonne stabilité chimique ; il resterait stable pendant au moins 6 mois à température ambiante et 30 mois au réfrigérateur. Il est cependant stipulé dans la notice fournie par le laboratoire Elan que le produit ne doit pas être stocké plus de 8 heures à température ambiante. L'immunogénicité de Neurobloc® (pouvoir de générer des anticorps) est théoriquement moindre que pour les produits Botox® ou Dysport® en raison de l'absence de lyophilisation. La diffusion locale aux muscles adjacents et distants semble inférieure pour la toxine Neurobloc® comparativement à la toxine Botox® quand les doses de ces deux produits sont ajustées de manière à avoir un effet direct dans le muscle injecté équivalent, (Arezzo et coll 1999).

De nombreuses questions restent cependant encore en suspens....

Quelle sera l'efficacité de la toxine B par rapport à la toxine A en terme de puissance et de durée d'effet, à court et à moyen terme chez les patients ?

En l'absence du recul nécessaire et d'études comparatives de qualité entre les 3 produits disponibles utilisant les mêmes échelles d'évaluation, il est difficile de répondre.

Que savons-nous à l'heure actuelle sur cette toxine B ?

Son mécanisme d'action au niveau de la synapse neuromusculaire est sensiblement différent de celui de la toxine A. La durée du blocage de la neurotransmission selon les sérotypes : le botulisme dû à l'ingestion de toxine A est souvent plus sévère et associé à une mortalité plus élevée qu'avec le botulisme dû à l'ingestion d'autres sérotypes dont le B. Chez le rat, il a été montré par Sellin et coll (1983) que la paralysie musculaire résultant de la toxine B avait une durée plus courte que celle obtenue avec la toxine A et que la toxine B était moins puissante que la toxine A en prenant la dose léthale 50 pour la souris comme unité de référence, (LD 50, dose nécessaire pour que la moitié des souris injectées meurent). Cependant le modèle souris n'est certainement pas le meilleur pour prédire les réponses cliniques à la toxine botulique chez l'Homme car il existe de grandes variations de sensibilité à la toxine botulique selon les espèces. Une autre étude réalisée chez le rat montre que le degré de paralysie initiale est identique pour les toxines A et B mais la durée de la paralysie beaucoup plus courte avec la toxine B (Kaufmann et coll, 1985).

Une seule étude à notre connaissance a tenté de comparer chez l'Homme l'efficacité des deux toxines B et A, en utilisant une méthode électrophysiologique pour quantifier le degré de paralysie musculaire obtenu après injection de doses croissantes de toxine B (20 à 480 U) ou de toxine A (1.25 à 20 U) dans un petit muscle du pied. Aux doses maximum utilisées, le degré de paralysie musculaire était légèrement supérieur pour la toxine A par rapport à la B mais surtout la durée de la paralysie musculaire était nettement plus longue pour la toxine A que pour la toxine B, (Sloop et coll, 1997). Il aurait cependant été nécessaire d'augmenter les doses de toxine B jusqu'à 1 000 U au moins pour pouvoir définitivement conclure car on peut penser qu'avec une dose de toxine B plus élevée, on peut au moins initialement obtenir le même degré de paralysie qu'avec la toxine A.

Ce type d'étude comparative reste toujours délicat à interpréter en raison de l'absence de consensus sur les équivalences de dose entre les différentes neurotoxines thérapeutiques disponibles. Ces résultats expérimentaux montrant une durée d'efficacité, plus courte pour la toxine B par rapport à la toxine A, sont donc en contradiction avec les résultats cliniques publiés dam les deux récentes études américaines citées plus haut. La durée d'efficacité de Neurobloc® évaluée à 12 - 16 semaines dans les dystonies cervicales serait équivalente aux durées d'efficacité connues de la toxine A dans les mêmes indications.

D'autres études semblent donc nécessaires pour évaluer au mieux l'efficacité clinique comparative des deux toxines A et B afin de déterminer précisément les indications de ces différents produits.

Quels seront en effet les patients qui pourront bénéficier de cette nouvelle toxine ?

Il est probable qu'elle sera disponible avant la fin de l'année dans certaines pharmacies hospitalières pour les patients présentant une dystonie cervicale, résistants à la toxine A par une procédure spéciale dite ATU, (Autorisation Temporaire d'Utilisation), en attendant l'AMM, (Autorisation de Mise sur le Marché), prévue au début de l'année 2001.

Sur quelles indications portera l'AMM : dystonie cervicale ? sûrement ; spasticité ? autres indications neurologiques ? la réponse dans quelques mois.

Enfin dernière question et non des moindres : quel sera le coût de la toxine B Neurobloc ® ? Des informations officieuses permettent de penser que le coût du flacon contenant 10000 U de Neurobloc® sera intermédiaire entre le coût du flacon Dysport® (500 U) et le coût du flacon Botox ® (100 U).

Neurobloc® : nouvelle toxine ? oui ; toxine du troisième millénaire ? à voir..

 

BIBLIOGRAPHIE

Lew et coll. Botulinum toxin type B: A double-blind, placebo-controlled, safety and efficacy study in cervical dystonia. 1997 Neurology; 49 : 701-707

Brashear et coll. Safety and efficacy of Neurobloc® (botulinum toxin type B) in type-A responsive cervical dystonia. 1999 Neurology; 53 : 1439-1446

Brin et coll. Safety and efficacy of Neurobloc® (botulinum toxin type B) in type A-resistant cervical dystonia. 1999 Neurology; 53 : 1431-1438

Sellin et coll. Différent effect of types A and B botulinum toxin on transmitter release at the rat neuromuscular junction. 1983 Acta Physiol Scand; 119 : 127-133

Kauffman et coll. Comparison of the action of types A and F botulinum toxin at the rat neuromuscular junction. 1985 Toxicol Appl Pharmacol 79:211-217

Sloop et coll. Human response to botulinum toxin injection: type B compared with type A 1997. Neurology 49 189194

Arezzo et coll. Comparison of the spread of biological activity of Neurobloc® (botulinum toxin type B) and Botox® (botulinum toxin type A) in a monkey model. Abstract P33. International Conférence 1999 : Basic and Therapeutic Aspects of Botulinum and Tetanus Toxins, Orlando, USA

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Mise en place 04 février 2001   Aidyston©