La stimulation cérébrale profonde
étend ses indications
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par Christine Maillard (Le
Concours Médical du 19 octobre 2002 n°32)
Aprés avoir fait ses preuves dans la maladie de parkinson
sévère, la neurostimulation par stéréotaxie est appliquée, de
manière encore expérimentale, aux troubles obsessionnels compulsifs.
LE CONTEXTE D'ACTUALITÉ
Selon Yves Agid (1), « les résultats spectaculaires
de la stimulation cérébrale profonde dans la maladie de Parkinson
confèrent à cette découverte française un intérêt de santé publique
(...), il faudrait encourager le développement de centres spécialisés
» (une quinzaine en France actuellement).
Le Comité consultatif national d'éthique,
saisi en octobre 2001 par le Pr A.L. Benabid des implications
éthiques liées au développement de nouvelles méthodes de stimulation
cérébrale, a rendu un avis favorable pour son utilisation dans
les troubles obsessionnels compulsifs résistants aux thérapeutiques
habituelles et particulièrement invalidants, tout en soulignant
la dimension mixte, recherche et soin, de la méthode « une thérapeutique
expérimentale entrant dans le cadre d'un protocole de recherche
», et le problème du consentement « d'autant plus facilement
obtenu que la souffrance de certains malades peut conduire à
une certaine audace non seulement acceptée mais requise (
)
cette facilité paradoxale d'obtention du consentement pourrait
se révéler dangereuse d'un point de vue éthique, d'où la nécessité
d'un certain encadrement ». Le Comité consultatif national d'éthique
préconise l'approbation des protocoles de cette thérapeutique
expérimentale par un comité particulier, qui ne serait pas composé
seulement d'experts psychiatriques et dont les décisions nécessiteraient
une unanimité absolue. Il ajoute que, si « la dimension de souffrance
que revêt la maladie psychiatrique peut conduire à solliciter
de nouvelles approches dont le fondement soit avant tout celui
d'un accompagnement plus humain plutôt que l'indifférence à
l'enfermement, à la contrainte et à la déchéance », la psychochirurgie
fonctionnelle ne devrait pas être accessible aux troubles psychiatriques
dans lesquels l'auto- ou l'hétéro-agressivité est importante.
« Il ne peut s'agir que d'un soin dont l'intrication avec la
recherche implique une notion de consentement très spécifique,
validé par un regard extérieur (2). »
Un entretien avec Alim-Louis BENABID
PU-PH, dir. unité INSERM 318,
neurosciences précliniques, CHU Grenoble
En quoi consiste la stimulation à haute
fréquence ?
Alim-Louis Benabid. Cette
technique consiste à implanter dans le parenchyme cérébral des
électrodes de stimulation, localisées de manière précise, et
à induire un courant électrique à « haute fréquence » (100 à
200 Hz). On considère actuellement que la stimulation à basse
fréquence (de l'ordre de 1 à 60 Hz) excite les neurones, alors
que, à haute fréquence, elle les inhibe et interrompt la transmission
du message neuronal.
Quelle est son efficacité dans ses indications
actuellement reconnues ?
Alim-Louis Benabid. Son
efficacité dépend de la rigueur des indications médicales (sélection
des patients) et de la précision de la chirurgie. Dans les formes
sévères de la maladie de Parkinson, l'amélioration des patients
peut être de l'ordre de 65 % sur les échelles cliniques actuellement
utilisées. Nous avons commencé à l'étudier dans d'autres pathologies,
par exemple dans la dystonie et dans l'épilepsie. Nous envisageons
aussi de traiter les troubles obsessionnels compulsifs, indication
pour laquelle le Comité consultatif national d'éthique a rendu
un avis favorable, et aussi d'étendre les indications aux troubles
alimentaires, et notamment à l'obésité maligne.
Comment, de la psychochirurgie, en est-on
venu à la stimulation cérébrale profonde ?
Alim-Louis Benabid.
La psychochirurgie, définie comme l'ablation chirurgicale ou
la destruction de voies de transmission nerveuses ayant pour
but de modifier le comportement, a été pratiquée jusque dans
les années soixante-dix en France et jusqu'à récemment en Europe
(Belgique, Suède) et aux États-Unis. Elle utilisait donc, comme
la chirurgie de la maladie de Parkinson à cette époque, la destruction
de cibles spécifiques. À la lobotomie des années quarante a
succédé, dans les années soixante, la neurochirurgie fonctionnelle
(capsulotomie antérieure, cingulotomie, tractotomie sous-caudale
),
et, plus récemment la radiochirurgie (gamma-knife) guidée par
l'imagerie cérébrale, qui consiste à délivrer un rayonnement
gamma.
La stimulation cérébrale profonde a d'abord
été utilisée pour traiter des troubles organiques, en particulier
la maladie de Parkinson, préalablement traitée par des destructions
de cible. Mais on peut envisager, en conservant le parallèle
« lésion destructrice-stimulation à haute fréquence », agir
sur les cibles spécifiques de la psychochirurgie par la stimulation
à haute fréquence. En effet, la stimulation cérébrale profonde,
dont l'efficacité a été démontrée sur certains troubles organiques,
pourrait aussi agir sur les troubles psychologiques, dans la
mesure où nous pensons que ceux-ci ont, en fait, un substrat
organique dans le système nerveux central. Cela risque de réactiver
la question de savoir s'il faut considérer la maladie mentale
de la même façon que la maladie physique. En tout cas, c'est
dans le contexte philosophique d'une conception moniste de l'individu,
prédominante par rapport à une conception dualiste, que se situe
le retour de la psychochirurgie fonctionnelle en psychiatrie.
Quels sont les avantages et inconvénients
de la méthode ?
Alim-Louis Benabid.
Cette méthode thérapeutique se caractérise par sa réversibilité,
son adaptabilité et une relative innocuité. La réapparition
des symptômes cliniques de la maladie à l'arrêt de la stimulation
atteste bien le caractère réversible, simplement symptomatique,
de ce traitement, dont l'objectif est d'aider à améliorer les
patients. Ce qui n'exclut pas les recherches sur la pathogénie
de la maladie de Parkinson comme sur celle des troubles obsessionnels
compulsifs, dont on a décrit une forme infanto-juvénile qui
pourrait être d'origine infectieuse (3).
La nécessité de réintervenir est un inconvénient
mineur ; cette réintervention consiste simplement à changer
le stimulateur (sous anesthésie locale) tous les six à sept
ans. Les complications de type suicidaire, particulièrement
regrettables, sont rares : attention de ne pas en faire une
règle. Quant à l'éventuel problème éthique évoqué par le Comité
consultatif national d'éthique, à savoir que le malade pourrait
se percevoir instrumentalisé dans son comportement, cela n'est,
en fait, pas véritablement rapporté par les patients parkinsoniens
dans notre expérience.
RÉFÉRENCES
1. Journée de la recherche clinique
hospitalière de l'AP-HP de Paris, 13 juin 2002.
2. Avis n° 71. La neurochirurgie
fonctionnelle d'affections psychiatriques sévères. Comité consultatif
national d'éthique.
3. Cohen D, Flament MF. Les troubles
obsessionnels compulsifs : une possible origine infectieuse
? In : Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. D. Bailly
Ed. Paris, Doin éd., coll. Progrès en pédiatrie, 2002.
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