1
PHYSIOPATHOLOGIE-DEFINITIONS
Au
repos, on considère que le muscle est soumis à une
tension de base appelée tonus musculaire. L'augmentation
de cette tension de repos est appelée hypertonie musculaire.
La spasticité est une variété particulière
d'hypertonie musculaire. En pratique, cette hypertonie se manifeste
par une augmentation de la résistance du muscle à
l'étirement.
Deux
courants s' affrontent quant aux mécanismes physiopathologiques
de la spasticité. Ils sont probablement complémentaires
:
1-1
Définition classique: raideur réflexe
La
spasticité est une contraction réflexe, c'est à dire
involontaire, d'un groupe musculaire à son propre étirement,
ce que rappelle l'éthymologie : en grec, spao (spaw) signifie
: "je contracte".
Définition selon LANCE (1980) : "Spasticity
is a motor disorder characterized by a velocity-dependent
increase in tonic stretch reflexes (muscle tone) with exaggerated
tendon jerks, resulting from hyperexcitability of the stretch
reflex, as one component of the upper motor neuron syndrome".
La définition de DELWAIDE (1993) ajoute quelques éléments
cliniques et physiologiques : " Spasticity is a motor disorder
characterized by brisk tendon jerks (sometimes accompagnied
by clonus) and a velocity-dependent elastic muscle hypertonia
during stretch, affecting certain muscle groups preferentially.
It results from hyperexcitability of the Ia pathways to motor
neurons combined with abnormal processing at the spinal cord
level of other peripheral afferents inputs (tonic stretch
reflex) ".
1-1-1
Le réflexe d'étirement
1-1-1-1
Généralités:
Il peut être assimilé à un système
d'asservissement réglant en permanence certaines caractéristiques
(longueur, voire raideur) du muscle. C'est un réflexe dit
"proprioceptif", car le stimulus auquel il est
sensible est l'étirement musculaire. Il permet, d'une part
de maintenir en permanence un "tonus de posture" indispensable
à la position érigée, et d' autre part, de
lisser la cinématique du mouvement volontaire (concept
de servo-assistance), en collaborant étroitement à
sa réalisation.
On décrit à ce réflexe une composante "phasique",
plus marquée dans les muscles fléchisseurs, et s'exprimant
lors des étirements à vitesse rapide (exemple :
percussion des réflexes ostéo-tendineux), et une
composante "tonique", dominante dans les muscles
extenseurs des membres inférieurs (muscles posturaux, ou
antigravifiques, s' opposant à la pesanteur), qui se manifeste
lors des étirements à vitesse plus lente ou étirements
continus. C'est l'exagération de la composante tonique
qui est rendue responsable du phénomène spastique.
1-1-1-2
Organisation élémentaire
Le réflexe d'étirement est organisé au
niveau segmentaire ("tranche" de moelle épinière
intégrant des afférences sensitives et produisant
des efférences motrices, dans un territoire bien déterminé
ou métamère, possédant une certaine
autonomie), et pluri segmentaire (superposition d' un certain
nombre de métamères adjacents), mais aussi à
un niveau supra-spinal, grâce à la participation
des centres nerveux, dont il reçoit une puissante régulation
(facilitatrice ou inhibitrice).
1-1-1-3 La boucle myotatique
Comme tout système réflexe, la réponse
musculaire à l'étirement est organisée
en boucle (figure 1):
Figure 1: 
Les
éléments principaux de la boucle réflexes sont
:
* des organes récepteurs spécialisés, les fuseaux
neuro-musculaires (sensibles à la vitesse d'étirement
du muscle, ainsi qu'à l'amplitude de l'étirement .
* qui donnent naissance à des afférences primaires
(fibres Ia), et secondaires (fibres II)
* se projetant sur les alpha-motoneurones de la CA de la moelle.
Ceux-ci réagissent au stimulus en provoquant la contraction des
fibres musculaires sous leur dépendance. Cette contraction réflexe
s' oppose à l'étirement initial. La correction ainsi apportée
est proportionnelle à la variation (de longueur ou de vitesse)
provoquée par l'étirement, mais peut être modulée
par les centres nerveux supra-spinaux, modifiant ainsi l'amplitude de
mouvement autorisée.
* le gamma-motoneurone spinal participe également à
cette modulation. Il est capable de modifier le gain du fuseau neuromusculaire,
grâce à son action fusimotrice (contraction des fibres
intrafusoriales, modifiant la sensibilité du récepteur
fusorial). Il est également soumis à la régulation
supra-spinale.
1-1-1-4
Le système Golgien
Un autre réflexe intervient, c'est le réflexe
dit "réflexe myotatique inverse". Il est organisé
selon le même schéma que le réflexe myotatique
(figure 2):
-
l'organe récepteur est un mécanorécepteur
tendineux (organe de GOLGI ou autre mécanorécepteur
tendineux), sensible à la tension. Son seuil d'excitation
est plus élevé (environ 30 fois plus) que celui
des fuseaux neuromusculaires, mais il s'abaisse considérablement
lorsqu'il existe une contraction musculaire, volontaire ou réflexe.
- la transmission du message proprioceptif est assuré
par des fibres Ib,
- qui viennent faire synapse, de façon indirecte,
par l' intermédiaire d'un interneurone (circuit
disynaptique), avec l'alpha motoneurone correspondant.
Figure 2 :
Le résultat
est une dépression de l' activité de celui-ci, soit une
diminution de la tension du muscle, visant à protéger
l'unité myo-tendineuse. Alors que le réflexe myotatique
est un système d'asservissement du muscle en longueur, le réflexe
inverse est un mécanisme d'asservissement en tension.
1-1-1-5
Autres afférences
Enfin, il existe de nombreuses autres afférences (proprioceptives
articulaires, extéroceptives cutanées, nociceptives
...), non impliquées à proprement parler dans la spasticité,
mais partageant une partie du pool des interneurones médullaires
impliqués dans la boucle myotatique. Ceci rend possible des
interactions entre diverses boucles réflexes (Ex : exagération
de la spasticité par les stimuli nociceptifs : "épines
irritatives").
Ces
interneurones reçoivent également les influences
des centres nerveux supérieurs, et sont ainsi des relais
majeurs de la régulation supra-spinale. Ils voient
converger vers eux les influx périphériques et
les signaux de régulation supraspinaux (Lundberg 1979).
Il faut envisager le pool des interneurones spinaux comme une
sorte de "voie finale commune" pour de nombreux faisceaux
descendants, capables de coordonner et de contrôler les
activités descendantes, segmentaires ou propriospinales,
et fonctionnant comme de véritables centres d'intégration
prémoteurs organisés en réseau (figure
3).
Figure 3 :
1-1-1-6
Organisation segmentaire
A l'étage segmentaire, le mouvement est organisé autour
d'un couple "agoniste-antagoniste" (par exemple
extenseur-fléchisseur), réalisant une unité
neuromotrice fonctionnelle qui s'articule autour des deux boucles
myotatiques associées au couple de groupes musculaires correpondant,
grâce à des interneurones qui en assurent la jonction
(interneurones Ia en particulier). Ainsi, lors de la contraction
d'un muscle (par exemple l'extenseur), l'antagoniste (ici le fléchisseur)
se relâche, et inversement : c'est l'inhibition réciproque
(figure 4). Son rôle est avant tout d'empêcher que le
mouvement produit par la contraction de l'antagoniste ne déclenche
un réflexe myotatique dans le muscle étiré.
Les interneurones de l'inhibition réciproque sont
eux aussi soumis à une puissante régulation supraspinale.
Figure 4 : 
Il
existe enfin des interneurones excitateurs. Par exemple, une
partie des influx Ia est transmise aux motoneurones par l'intermédiaire
de circuits oligosynaptiques (di ou tri-synaptiques) dont les interneurones
excitateurs paraissent surtout chargés de transmettre la commande
descendante aux motoneurones. En cas de lésion du système
nerveux central, ce système propriospinal (Pierrot-Deseilligny)
serait plutôt impliqué dans la physiopathologie de la difficulté
de commande volontaire que dans celle de la spasticité. Il posséderait
également un rôle dans la récupération fonctionnelle.
Ces circuits confèrent à la moelle spinale des capacités
d'intégration et de programmation motrices non négligeables
et illustre le concept de générateur spinal de marche
(voir ci-dessous).
1-1-1-7
Organisation plurisegmentaire
L' organisation segmentaire que nous avons décrite est répétée
à chaque étage médullaire. L'association fonctionnelle
de plusieurs étages entre eux permet à la moelle de gérer
seule certaines combinaisons motrices simples. Y collaborent les projections
Ia hétéronymes, en particulier celles qui unissent
des muscles agissant sur des articulations différentes. Elles
semblent avoir évolué pour assurer les co-contractions
de muscles synergiques au cours d'activités automatiques comme
la marche.
Il
existe à ce propos des exemples issus de l'observation clinique
comme la synergie entre les extenseurs de la cheville et les extenseurs
du genou, les pronateurs de l'avant-bras et les fléchisseurs
du coude, mais aussi les extenseurs du coude et du genou. Ces connexions
sont responsables en pathologie des syncinésies de coordination
et rendent peut-être également compte de la diminution
de la spasticité sur la totalité d'un membre ou même
d'un hémicorps après traitement électif d'un muscle
" gâchette ". Il existe des associations bien plus élaborées,
semblant matérialiser de véritables "sous-programmes"
moteurs intégrés au niveau spinal. Deux systèmes
anatomiques complexes de ce type ont pu être documentés
: le générateur spinal de marche (chez l'animal),
et le système propriospinal C3-C4 (chez l'homme). Cette
organisation plurisegmentaire pourrait avoir le rôle de parer
rapidement (avec un temps de réponse nettement inférieur
à celui nécessitant un relais cortical) aux imprévus
environnementaux pouvant survenir lors du mouvement volontaire.
1-1-1-8
Systèmes de régulation
Depuis le XIX siècle, on considère que l'éclosion
de la spasticité est la conséquence de la libération
de l'activité des circuits réflexes spinaux à
la suite d'une lésion supra-spinale (Sechenov 1863). Des systèmes
de régulation supraspinaux permettent en effet de moduler l'activité
des circuits réflexes médullaires. Ils intègrent
tous des interneurones inhibiteurs :
*
l'inhibition présynaptique Ia
* l'inhibition de Renshaw (interneurone qui, stimulé
par une collatérale d' un axone moteur, inhibe celui-ci
en retour).
* l'inhibition autogénique Ib
* circuit II : l'inhibition véhiculée par
les fibres du goupe II se réalise avec des effets complexes
(excitateurs ou inhibiteurs), sur l'aMN homonyme. Actuellement
le rôle des afférences de type II est de
plus en plus jugé important dans la génération
de la spasticité.
Un
autre courant de recherche attribue à la raideur non
réflexe, c'est à dire la raideur proprement
musculaire, une part importante dans la génèse
de la spasticité.
Au plan biomécanique, une part de la tension provoquée
par l'étirement du muscle, même dénervé,
est en effet attribuable à deux composantes mécaniques
:
* une composante élastique, liée à
l'existence d'un tissu conjonctif de soutien
* et une composante visqueuse.
Dans le muscle spastique la raideur non réflexe est augmentée,
peu semble t-il par modification de la composante élastique,
mais majoritairement à cause de l'augmentation de la
viscosité (Hufschmidt 1982). Cette altération
des propriétés mécaniques du muscle semble
cependant bien d'origine neurogène, puiqu'il est possible,
chez le chat décérébré, d'obtenir
un "pseudoréflexe d'étirement", alors
que toutes les racines postérieures ont été
sectionnées, mais que les racines antérieures
sont intactes. Ce phénomène est attribué
à la modification des propriétés mécaniques
du muscle quand il existe une décharge permanente des
aMN (hypothèse " transsynaptique "). Ce mécanisme
pourrait dépendre de la modification des fibres musculaires
au cours de la spasticité, sous la forme de la transformation
fibres II en fibres I (Dietz 1984).
1-2-1
Mécanismes biomécaniques :
.
élasticité : longueur-dépendante
. viscosité : vitesse-dépendante
. inertie : accélération-dépendante
. plasticité : temps-dépendante (thixotropy)
. rétractions (muscles, tendons, ligaments)
1-2-2
Mécanismes neurologiques
.
réflexes : abolis par la rhizotomie : Spasticité
. centraux : non modifiés par la rhizotomie :
Tonus
postural
Dystonie
Rigidité (hypokinésie)
Paratonies (Gegenhalten)
Contraction volontaire, tension psychique ...

2
NEUROANATOMIE DE LA SPASTICITE
Selon
STRUPPLER (1971) : " Nos relations conscientes avec le
monde ambiant ont pour condition l'innervation tonique de notre
musculature striée, soit le tonus de posture. Tout mouvement
volontaire ne peut s'effectuer de façon harmonieuse que
si fonctionnent automatiquement et de manière coordonnée,
d'une part l'innervation statique, soit à la station
debout l'innervation involontaire tendant à neutraliser
les effets de la pesanteur, et d'autre part la composante dynamique
du processus moteur, c'est à dire l'adéquation
de la position et de la posture du corps aux influences variables
du milieu ".
Les voies anatomiques impliquées dans la physiopathologie
de l'hypertonie musculaire sont en celles qui jouent un rôle
dans la physiologie de la posture, c'est à dire essentiellement
les voies extra-pyramidales.
2-2
Organisation neuroanatomique
La
voie pyramidale prend naissance au niveau des aires motrices
précentrales (aires 4 et 6 de Brodman), mais également
dans les aires pariétales primaires (aires 3, 1 et 2)
et l'aire pariétale secondaire (aire 40). La majeure
partie des fibres pyramidales se termine dans la zone intermédiaire
entre les cornes ventrale et dorsale, au contact de neurones
intermédiaires. Seule une toute petite partie atteint
directement les motoneurones de la corne ventrale : ce sont
les alphamotoneurones innervant la partie distale des membres
(main). Les fibres issues du lobe pariétal se terminent
dans les noyaux des cordons dorsaux de la moelle (noyaux gracile
et cunéiforme), et dans la substance gélatineuse
de la corne dorsale. Elles régulent les afférences
sensives.
Les voies extrapyramidales sont nombreuses. Elles portent
ce nom parce qu'elles ne cheminent pas dans la pyramide bulbaire,
à l'inverse de la voie pyramidale. Leur origine est essentiellement
sous-corticale dans les corps striés, le pallidum, le
noyau sous-thalamique (corps de Luys), le noyau rouge, et la
substantia nigra. On y associe d' utres structures qui ne sont
pas des noyaux moteurs, mais qui ont un rôle d'intégration
important (cervelet, noyaux thalamiques, formation réticulaire
et noyaux vestibulaires), ainsi que certaines aires corticales
(aires oculomotrices frontales et occipitales, voire certaines
aires pariétales et temporales). Le faisceau central
de la calotte est considéré comme la voie efférente
principale. D'autres voies descendantes s'y ajoutent (faisceaux
rubro, réticulo, vestibulo, interstitio-spinal
).
Les voies extra-pyramidales gèrent de façon inconsciente
le maintien de l'équilibre statique et de l'attitude
du corps pendant les mouvements volontaires, mais aussi les
mouvements automatiques complexes, appris après un exercice
répété (voie rubro-spinale).
2-2-2
Projections spinales
Il
est possible, au niveau spinal, de distinguer deux sous-systèmes
moteurs fonctionnels :
un
sous-système latéral, composé
principalement des faisceaux rubro, réticulo et cortico-spinal,
commandant notamment les mouvements de flexion des extrémités.
La voie pyramidale et la voie rubro-réticulo-spinale
activent en effet essentiellement les neurones des muscles
fléchisseurs et inhibent les muscles extenseurs, ceci
étant surtout vrai pour les muscles de la main amenés
à réaliser des mouvements fins et précis.
un
sous-système ventro-médian, issu de structures
motrices mésencéphaliques, subissant l'influence
d'impulsions corticales, strio-pallidales et cérébelleuses,
et servant au contrôle de la motricité ainsi
qu'au maintien et à l'intégration des mouvements
du tronc et des membres, donc aux fonctions posturales et
locomotrices. Ce système, phylogénétiquement
ancien, est destiné à lutter contre la pesanteur,
en jouant un rôle important dans le maintien de l'attitude
du corps et l'équilibre. Les voies qui le constituent
sont le faisceau vestibulo-spinal et les fibres issues de
la formation réticulaire pontique. Elles inhibent la
motricité des muscles fléchisseurs et stimulent
celle des muscles extenseurs (au membre inférieur).
2-3
Anatomie fonctionnelle de la spasticité
2-3-1
Conceptions actuelles
Contrairement
à une idée commune, il n'existe pas d'évidence
qu'une lésion isolée de la voie pyramidale puisse
être responsable à elle seule des manifestations
de la spasticité musculaire. Chez l'animal, les lésions
de ce type se manifestent plutôt par des signes déficitaires
(diminution de la force musculaire, en particulier au niveau
des mouvements fins des doigts), une hypotonie et une hyporéflexie
(chez le singe) et ceci durant plusieurs mois après
la survenue de la lésion causale.
Ceci
ne signifie pas que le cortex cérébral n'influence
pas le tonus musculaire, mais il semble que ce soient les
lésions intéressant les aires prémotrices,
plutôt que celles détruisant l'aire motrice primaire
(aire 4), qui soient en cause (figure 5). Ainsi, il existe
une plus grande incidence de la spasticité musculaire
dans les lésions circoncrites du bras antérieur
de la capsule interne (voie de passage des efférences
provenant des aires prémotrices, fibres parapyramidales)
que dans celles intéressant le bras postérieur
(passage du faisceau pyramidal). Ceci permet de comprendre
l'importance de la spasticité dans les lésions
sous-corticales diffuses (SEP).
Figure 5 : 
L'écorce
cérébrale possède en effet un puissant
effet inhibiteur sur le tonus musculaire. Cet effet est relayé
par la formation réticulée (figure 6),
qui compte deux structures aux fonctions opposées, révélés
par des expériences de stimulation électrique
chez l'animal :
Figure 6 : 
un
système inhibiteur représenté par la
formation réticulée bulbaire ventromédiale,
qui diminue le tonus musculaire, avec à cet égard un effet
facilitateur du cortex prémoteur (et une modulation possible
par le cortex cérébelleux et le noyau fastigial), se projetant
(par un faisceau réticulospinal dorsal) sur la moelle, et
un système excitateur localisé dans la formation réticulée
de la partie dorsale du tronc cérébral (connecté
au locus niger), se projetant sur la moelle par un faisceau réticulospinal
ventral, anatomiquement assez diffus, qui accroît le tonus. Ce
système, à l'inverse du premier, ne semble pas affecté
par l'activité corticale, mais plutôt par celle des noyaux
gris centraux.
Figure 7 : 
En
résumé, il est donc possible de proposer, chez
l'homme, l'existence de deux systèmes antagonistes régulant
le tonus musculaire : d'une part un faisceau réticulospinal
dorsal ("dorso-latéral") inhibiteur
cheminant dans la moelle dorso-latérale, topographiquement
proche du faisceau pyramidal, et d'autre part un faisceau
réticulospinal facilitateur, assisté d'un
faisceau vestibulospinal, cheminant tous deux dans la moelle
ventrale (figure 7).
2-3-2
Corrélations anatomo-cliniques
Les connaissances
résumées dans les points précédents permettent
d'interpréter la plupart des tableaux cliniques rencontrés
en pathologie humaine. Chez l'homme, la vérification expérimentale
des données collectées chez l'animal, a été
apportée par la chirurgie de cordotomie, pratiquée pour
des pathologies aussi diverses que la maladie de Parkinson (cordons dorso-latéraux),
les douleurs chroniques (cordons latéraux), la spasticité
(cordons antérieurs).
La
spasticité rencontrée dans les lésions encéphaliques
frontales ou capsulaires internes s'explique par la diminution de l'action
facilitatrice du cortex antérieur sur la formation réticulée
bulbaire inhibitrice. Ainsi, au cours des lésions capsulaires
internes ou corticales, des lésions conjointes de la voie pyramidale
et des fibres parapyramidales destinées à la formation
réticulée inhibitrice sont responsables de l'apparition
du tableau d'hémiplégie spastique. La spasticité
prédomine sur les extenseurs au membre inférieur, les
fléchisseurs au membre supérieur.
Lors des lésions médullaires partielles, l'atteinte des
voies réticulospinales inhibitrices est souvent plus marquée
que celle du sous-système ventro-médian excitateur, anatomiquement
plus diffus. Il apparaît donc souvent une spasticité en
extension aux membres inférieurs. Les réponses en flexion
sont modérées ou absentes. Ce type de tableau clinique
est rencontré dans les formes spinales de Sclérose en
Plaques (SEP), ou au cours des lésions médullaires traumatiques
incomplètes.
Chez
l'homme, l'existence de lésions touchant à la fois les
voies vestibulo et réticulo spinales facilitatrices aurait un
rôle dans la survenue de la spasticité en flexion. Ainsi,
dans les lésions médullaires sévères ou
complètes, il y a perte de toute influence supraspinale sur la
moelle. La spasticité n'est pas aussi marquée que dans
les lésions spinales incomplètes car les voies réticulo-spinales
excitatrices sont interrompues. On observe par contre d'importantes
manifestations de réponses en flexion (réflexes en flexion
et spasmes en flexion). Ce tableau est volontiers rencontré dans
les lésions médullaires traumatiques complètes.
3 LA SPASTICITE
: DESCRIPTION CLINIQUE
3-1 Contexte
de survenue
La
spasticité survient lors de certaines lésions du système
nerveux central (encéphale ou moelle épinière).
Les pathologies les plus couramment pourvoyeuses de spasticité
sont : la sclérose en plaques, l' infirmité
motrice cérébrale, les traumatismes vertébro-médullaires,
les accidents vasculaires cérébraux, les traumatismes
cranio-encéphaliques. Très généralement
chez ces patients, spasticité et déficit de la force musculaire
volontaire (paralysie) sont associés, ceci s' expliquant par
la proximité (et non l' identité) des voies neurologiques
impliquées.
3-2 Tableaux
cliniques
3-2-1
Définition clinique restreinte (LANCE)
Lors
de l' examen clinique, la spasticité est responsable d'une raideur
musculaire, classiquement qualifiée, depuis CHARCOT, d' "élastique"
(car le segment de membre que l' on mobilise tend à revenir à
sa position de départ).
La
spasticité prédomine sur les muscles posturaux que sont,
chez l'homme, les extenseurs aux membres inférieurs , et les
fléchisseurs aux membres supérieurs (distribution tonique
de WERNICKE-MANN).
Les
autres caractéristiques cliniques de la spasticité sont
les suivantes :
* absence de tonus de repos : au repos, le muscle spastique ne
présente aucune activité contractile, tout comme le muscle
sain.
* vitesse dépendance : la résistance à l'étirement
n'existe que lors d'un déplacement, et elle augmente lorsque
la vitesse de mobilisation s'accroît. L'activité réflexe
cède donc au repos, au contraire de ce qui existe dans les autres
causes d'hypertonie musculaire (on emploie alors plus volontiers le
terme de "rigidité")
* dépendance négative vis à vis de la longueur
musculaire. La spasticité cède à l'étirement
prolongé : c'est le phénomène du canif : quand
l'amplitude de l'étirement s'accroît, la contraction réflexe
s'atténue dans le muscle extenseur. Ce phénomène
a été d'abord attribué à la mise en jeu
des récepteurs tendineux de Golgi, puis à l'activation
des afférences fusoriales secondaires, voire, plus récemment,
à l'effet inhibiteur des afférences du réflexe
en flexion. Il semble être absent au membre supérieur.
* fatigabilité : l'activité réflexe diminue
lorsqu'on répète l'étirement musculaire, à
des intervalles de temps incompatibles avec la mise en jeu de l'inhibition
présynaptique. Ceci est interprété comme un épuisement
progressif de l'hyperexcitabilité myotatique, lié à
une déplétion synaptique en neuromédiateur.
3-2-2
Définition clinique élargie
Le
tableau clinique de la spasticité peut s'enrichir de différents
éléments pour atteindre, de façon hiérarchisée,
une forme plus complète :
* hypertonie de repos associée,
* exagération des réflexes extéroceptifs cutanés
: pour certains auteurs seulement, le terme de spasticité recouvre
aussi les phénomènes de réponse en flexion
, ou réflexes de défense ou de retrait (figure
8):
Il s'agit d' une réponse en flexion d'un membre, lors d' une
stimulation essentiellement cutanée (extéroceptive),
par exemple douloureuse (nociceptive). Ses caractéristiques
physiologiques sont totalement différentes de celles du réflexe
d' étirement :
- cette réponse n' intéresse que les muscles fléchisseurs,
- son intégration est purement spinale,
- le circuit réflexe est purement polysynaptique,
- ces manifestations sont à rapprocher du cadre plus large de
l'automatisme médullaire (lésions spinales).
* manifestations d'accompagnement :
- syncinésies (témoins de la perte de sélectivité
du mouvement, " désinhibition " des projections hétéronymes
Ia)
- clonus (activité alternative des agonistes et antagonistes)
- exagération des réflexes ostéo-tendineux (à
considérer plutôt comme une composante du syndrôme
pyramidal)
* altération des capacités motrices par déficit
et dys-coordination des commandes musculaires (perturbation de l'inhibition
réciproque par exemple, avec co-contraction agoniste-antagoniste),
* voire dystonie spastique, contractures.
SPASTICITE
Contracture
"tendino-réflexe"
Babinski 1912
Spasticité "PRR"
(Proprioceptive Reflex Release)
Landau, 1974
· "trouble moteur caractérisé
par une augmentation vitesse-dépendante du réflexe
tonique d'étirement
") LANCE, 1980
· Raideur "élastique"
· Prédomine sur les muscles posturaux (extenseurs
membres inférieurs)
· Intégration spinale et supra-spinale (réflexes
à longue boucle)
· Arc réflexe myotatique (mono-oligo synaptique)
· Stimulus proprioceptif (étirement)
· Lésions encéphaliques ou spinales
incomplètes
· Peu sensible au baclofène, à la
réfrigération et aux blocs nerveux
|
|
REPONSES
EN FLEXION
Contracture
"cutanéo*réflexe"
Babinski, 1912
Spasticité "GRR"
" General Reflex Release "
Landau, 1974
·
Muscles fléchisseurs (réaction de défense)
· Intégration purement spinale
·
Voies polysynaptiques
·
Stimuli extéroceptifs (nociceptifs)
· Lésions spinales complètes (automatisme
médullaire)
· Sensible au baclofène, à la réfrigération
et aux blocs nerveux (fibres de petit diamètre)
|
|
3-3 Evolution
temporelle
La spasticité
musculaire est un phénomène classiquement décrit
comme éminemment variable, chez un même sujet,
au cours du temps, et selon divers autres paramètres comme
la température, l'état psychique et le degré
de vigilance, la position, les afférences végétatives,
la stimulation cutanée ... Ceci s' explique par la distribution
des voies anatomiques lésées (cf. § 2-2). Cette
vision classique est cependant à nuancer, et probablement plus
appropriée pour les spasticités d'origine spinale avec
réponses en flexion associées, ou les spasticités
récentes encore évolutives. En effet, bien que l' évolution
temporelle de la spasticité soit peu documentée, il
semble exister une relative stabilité des spasticités
chroniques d'origine encéphalique.
Les différents mécanismes physiopathologiques sous-tendant
l'évolution temporelle de la spasticité sont mal connus.
Alors que le déficit de commande motrice est immédiat
après une lésion du système nerveux central,
l'apparition de la spasticité est généralement
différée de plusieurs semaines. L'explication
de ce délai fait appel au concept de conséquences neurobiologiques
évolutives d'une lésion neurologique initiale. En effet,
il est généralement admis que la dégénérescence
axonale qui suit une lésion entraine des remaniements de connectivité
des neurones cibles déafférentés (bourgeonnement
= "sprouting"). Chez le chat, Murray et Goldberger observent,
à 2-3 semaines d'une hémisection spinale, une facilitation
des réflexes segmentaires du côté lésé,
associée à une augmentation homolatérale des
projections primaires intra-spinales, essentiellement à l'intérieur
des laminae recevant les voies descendantes lésées (laminae
VI-VII) (figure 9).
Figure 9 :

4 THERAPEUTIQUE
4-1 Introduction
La
spasticité est actuellement la seule composante du syndrôme pyramidal
accessible à la thérapeutique.
4-2
Thérapeutiques physiques
Elles
comprennent :
4-2-1
Les étirements musculaires
Ils possèdent
une activité antispastique véritable, bien que peu durable
et doivent en conséquence être répétés
suffisamment souvent (au minimum plusieurs fois par jour). Le mécanisme
mis en jeu n'est pas précisément connu, exploitant la "fatigabilité"
du réflexe myotatique ou les phénomènes visco-élastiques
musculaires.
4-2-2
La stimulation électrique
Il peut s'agir d'électromyostimulation
(du muscle spastique ou de son antagoniste parésié), ou
de stimulation cutanée dans le dermatome correspondant aux muscles
spastiques. L'efficacité est également peu durable. Les
mécanismes mis en jeu sont mal connus. Au moins pour la technique
d'électrostimulation cutanée, il pourrait s'agir d'un mécanisme
identique à celui de la neurostimulation antalgique.
4-3 Thérapeutiques
médicamenteuses
Les thérapeutiques
médicamenteuses sont les plus nombreuses. Leur principe est basé
sur la connaissance des neurotransmetteurs impliqués dans les
mécanismes de la spasticité.
4-3-1
Neuropharmacologie de la spasticité
Figure 10 :
Au niveau spinal,
les neuromédiateurs excitateurs sont représentés
essentiellement par les acides aminés excitateurs (AAE),
mais aussi l'acétylcholine et la substance P. Les terminaisons
des fibres de gros diamètre conduisant les afférences
sensitives provenant de la peau et des articulations, dont les fibres
Ia responsables du réflexe monosynaptique, secrétent des
AAE (probablement du glutamate). Les interneurones excitateurs
libéreraient de l'aspartate. Les fibres de petit diamètre
semblent produire des peptides. Les circuits inhibiteurs mono et poly-synaptiques
utilisent le GABA et la glycine. Le GABA est impliqué
principalement dans les mécanisme d'inhibition présynaptique
Ia. La glycine serait libérée par les interneurones médiant
les inhibitions postsynaptiques récurrente et réciproque.
Parmi les grandes voies descendantes modulant le tonus musculaire, il
existe une voie extrapyramidale inhibitrice noradrenergique provenant
du locus coeruleus, et une voie réticulospinale probablement
sérotoninergique. Le faisceau pyramidal utiliserait le glutamate
(figure 10).
4-3-2
Les molécules antispastiques
Quatre médicaments
sont utilisés comme antispastiques (figure 11) : le baclofène,
le diazepam, le dantrolène et la tizanidine.

Figure 11
Ces quatre médicaments
appartiennent à trois classes médicamenteuses :
4-3-2-1
Les agonistes du GABA
Le GABA (g-amino-butyric-acid
ou acide gamma amino butyrique) est reconnu depuis longtemps comme un
médiateur de l'inhibition présynaptique
- les GABA-A agonistes sont représentés par les benzodiazépines
(valium*, rivotril*, myolastan*)
- les GABA-B agonistes, représentés par le baclofène (liorésal)
4-3-2-2
Les agonistes a2 adrénergiques centraux
(Catapressan*, Sirdalud*)
Ils restaurent l'inhibition
noradrenergique normalement exercée par le faisceau réticulospinal dorsal
sur la libération des neuromédiateurs excitateurs, au niveau spinal.
4-3-2-3
Les antispastiques d'action périphérique
Il en existe trois
:
- le dantrolène (dantrium*) agit directement sur le muscle, en
inhibant le couplage excitation-contraction. Il est susceptible de diminuer
la force musculaire volontaire.
- la toxine botulinique (Botox*, Dysport*) permet une dénervation
chimique élective et réversible d'un ou plusieurs groupes musculaires,
dans le but de permettre aux muscles antagonistes parésiés, de reprendre
un rôle fonctionnel. Elle agit en se fixant directement au niveau de
la plaque motrice.
- les injections d'alcool ou de phénol au niveau des points moteurs
détruisent les terminaisons motrices et sensitives, interrompant ainsi
doublement l'arc réflexe. On peut les considérer comme des techniques
agressives car douloureuses, incomplètement réversibles, et causant
des lésions durables de fibrose musculaire.
4-4 Thérapeutiques
chirurgicales
Les neurotomies
sélectives ou supersélectives permettent de ne léser que les fibres
sensitives, interrompant l'arc réflexe, sans hypothéquer la motricité
résiduelle. Elles s'adressent aux spasticités localisées. Leur effet
est temporaire. Exemple : neurotomie du SPI (spasticité du triceps sural).
Les lésions microchirurgicales de la zone d'entrée dans la moelle des
racines postérieures (Dorsal Root Entry Zone-tomy ou DREZ-tomie)
et les rhizotomies dorsales sélectives, sont efficaces sur les réponses
en flexion et les douleurs, en interrompant électivement les petites
fibres nociceptives, sans altérer de façon importante la sensibilité
superficielle. Elles s'adressent aux spasticités "régionales".
L'infusion intrathécale de baclofène permet de traiter les spasticité
généralisées sévères et/ou douloureuses.

REFERENCES
Bibliographie
Delwaide PJ, Olivier E, Fornarelli M. Les myorelaxants.
In: Doin (ed). Le médicament en neurologie, 1989.
Pierrot-Deseilligny E, Pradat-Diehl P, Robain G. Physiopathologie de la
spasticité. Ann Réadaptation Méd Phys 1993; 36:309-320.
Decq P. Traitement neurochirurgical de la spasticité. La lettre du
neurologue 1999; 1:12-16.
WEB
Le Cavorzin P. Pharmacologie
de la spasticité musculaire. Cours
du site de Pharmacologie de la Faculté
de Médecine de Rennes.
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