La rééducation des dystonies
Jean-Pierre BLETON
Kinésithérapeute Cadre Supérieur
de Santé
Pôle Neurosciences
Coordinateur Recherche en Soins
Direction des Soins
Hôpital Sainte-Anne
1, rue Cabanis
75674 paris cedex 14
Tél.: 0145657680 ou 0145658505
Fax : 0145658357
Email : jp.bleton@ch-sainte-anne.fr
Les dystonies se présentent sous la forme
d'attitudes inhabituelles souvent déroutantes comportant une composante
de torsion, des spasmes musculaires et parfois des tremblements. Longtemps
considérée comme une manifestation motrice d’origine psychogène,
l'organicité des dystonies n’est désormais plus remise en
question. Elles se manifestent par des contractions involontaires affectant,
suivant les cas, l’ensemble du corps (dystonie généralisée),
un hémicorps (hémidystonie), un segment de membre ou une
partie du corps (dystonie axiale, dystonie cervicale), la face (blépharospasme,
syndrome de Meige). Certaines n’apparaissent qu’à l’occasion du
maniement d'un outil ou d'un instrument (crampe de l’écrivain,
crampe du musicien).
Faute de protocoles validés, la rééducation
se base sur la physiopathologique. Le défaut d’inhibition en constitue
le phénomène principal. La réalisation des mouvements
volontaires provoque la co-contraction pathologique des muscles agonistes
et antagonistes et l’activation de muscles qui normalement devraient rester
inactifs [1]. La présence de ces synergies aberrantes compromet
la précision du geste dont la réalisation échappe
à son auteur. Des études récentes ont montré
l'importance du rôle joué par les informations sensitives.
Leur influence sur la motricité [2] explique pourquoi certains
patients sont capables d'atténuer ou de faire disparaître
les manifestations dystoniques comme le simple contact d'un doigt dans
la région dystonique (geste antagoniste ou sensory tricks).
Depuis ces vingt dernières années,
le devenir des dystonies a été spectaculairement amélioré
par les injections de toxine botulinique. Ces injections sont désormais
considérées comme le traitement le plus efficace des dystonies
lorsqu’elles sont localisées à un ou quelques muscles [3].
L’injection n’est réalisée qu’après avoir prévu
et organisé le suivi en rééducation. Le temps de
la dénervation obtenue par l’injection intramusculaire de toxine
botulinique est mis à profit pour restaurer l’activité motrice
des muscles correcteurs. Il n’existe aucune contre-indication à
entreprendre la rééducation dans les jours qui suivent les
injections. Certains médecins injecteurs recommandent même
la pratique de mouvements ou d’exercices immédiatement après
l’injection de manière à favoriser la diffusion du produit
dans l’espace du muscle injecté.
La rééducation des dystonies cervicales
ou la crampe de l'écrivain est désormais largement répandue.
Elle fait l’objet d’un large consensus de la part du corps médical
et rares sont les patients qui ne sont pas adressés en rééducation
à un moment ou à un autre de l'évolution de leur
maladie [4].
La rééducation des dystonies cervicales
Les dystonies cervicales ou torticolis spasmodiques
sont dues à la contraction pathologique répétitive
(forme myoclonique) ou constante (forme tonique) d’un ou de plusieurs
muscles cervicaux pouvant parfois diffuser à ceux du tronc et des
membres supérieurs. Les mouvements anormaux de la tête sont,
pour une même personne dystonique, stéréotypés,
répétés dans le même plan et dans la même
direction. La rééducation de cette localisation de la maladie
dystonique a toujours constitué un élément important
du traitement. Différentes stratégies de rééducation
ont été proposées depuis le milieu du XIXe siècle
jusqu'à nos jours [5]. Des neurologues renommés comme Brissaud,
Meige, Oppenheim ou Ajuriaguerra (de) ont utilisé une thérapie
par le mouvement pour corriger la posture ou le geste anormal.
Actuellement, la rééducation conserve
ses indications. Elle complète l’action des infiltrations de toxine
botulinique et des thérapies médicamenteuses. S’il n’existe
pas de programme de rééducation standard applicable à
toutes les formes de dystonie cervicale, il est néanmoins possible
de dégager les grandes lignes directrices répondant aux
différentes formes cliniques. L’immobilité des mouvements
de la tête est l'objectif principal de la rééducation
de la forme myoclonique, la revalidation des muscles correcteurs celui
de la forme tonique [6, 7]. Rééducation et injections de
toxine botulinique associent leurs effets. Des études en cours
tentent de démontrer l'efficacité d'une rééducation
spécifique aux dystonies.
La rééducation de la crampe de
l'écrivain
La crampe des écrivains est une dysgraphie
acquise de l'écriture survenant à l'âge l'adulte.
Elle se manifeste par la contraction anormale de certains muscles de la
main et des doigts, parfois de l'épaule survenant exclusivement
à l'écriture [8].
La rééducation de cette dystonie
instrumentale consiste à retrouver un comportement moteur adapté
au geste d'écriture en créant les conditions, après
une phase de déconditionnement, du réapprentissage d'un
geste plus ergonomique, plus fluide et plus confortable.
Elle peut ainsi être schématisée
[9] :
- un temps initial d'évaluation consistant
à analyser le trouble moteur et à proposer une stratégie
de rééducation ;
- un temps de pré-inscription dont l'objectif
est d'obtenir la détente de l'ensemble du membre scripteur et le
contrôle des muscles nécessaires au geste d'écriture
;
- une phase pictographique et graphomotrice où
il ne s'agit plus de traiter un muscle ou plusieurs muscles mais de corriger
un geste, de modifier un programme moteur.
La relaxation est utilisée chez ceux pour
qui l'acte d'écrire est la cause d'une inquiétude excessive.
Elle diminue la réponse anxieuse et l’intensité des contractions
anormales dans le membre scripteur.
Le programme de rééducation est
constitué de cinq à dix séances pratiquées
de manière bimestrielle et d’exercices quotidiens spécifiques
à chaque cas. Des injections de toxine botulinique au niveau des
muscles cibles sont éventuellement associées à la
rééducation dans un deuxième temps, une fois qu'il
a été possible de faire la part entre muscles dystoniques
et compensations.
Cette approche rééducative a pu
être validée. Au cours d’un travail préliminaire,
Sabine Meunier et Al ont mis en évidence une désorganisation
de la représentation somatotopique digitale, dans le cortex somato-sensoriel
primaire (S1) chez des patients souffrant de la crampe de l'écrivain
[10]. Dans une deuxième étude, la même équipe
de chercheurs utilisant la même technique, a mis en évidence,
une réorganisation de la représentation des doigts au niveau
de S1, chez des sujets considérés comme cliniquement guéris
après une rééducation spécifique [11].
La rééducation est considérée
comme une alternative ou un complément des traitements médicaux
de certaines dystonies focales ou segmentaires. Les résultats sont
tributaires de la capacité du rééducateur à
donner au patient les moyens de corriger sa posture pathologique ou de
maîtriser ses mouvements anormaux.
Bibliographie :
1- Rondot P. Les Dystonies. Eticom (Acanthe),
Masson (Paris) 2003, 112p.
2- Hallet M. Is dystonia a sensory disorder?
Ann Neurol 1995; 38:139–40.
3- Jedynak A, de Saint Victor JF, Traitement
du torticolis spasmodique par injections locales de toxine botulinique.
Rev Neurol 1990; 146:440-443.
4- Rondot P, Marchand MP, Dellatolas G, Spasmodic
torticollis : Review of 220 patients. Can J Neurol Sci 1991; 18:143
–151.
5- Cruchet R. Traité des Torticolis
Spasmodiques, Spasmes, Tics, Rythmies du Cou, Torticolis Mental. Masson
(Paris) 1907.
6- Bleton JP. Kinésithérapie
du torticolis spasmodique. In Bouvier G., Soultrait (de) F., Molina-Negro
P (eds). Le torticolis spasmodique. Aspects cliniques et traitements.
Editions Expression Santé (Paris) 2006 ; p179-197.
7- Bleton JP. Role of the physiotherapist.
In Warner TT., Bressman SB.(eds). Clinical Diagnosis and Management
of Dystonia. Editions Informa Healthcare (London) 2007 ; p223-232.
8- Vidailhet M, Perkinden P, Gallouedec G, Vidal
S, Sangla S, Les dystonies du membre supérieur : Analyse
sémiologique et prise en charge thérapeutique. In :
Thoumie P, Pradat-Deihl P, eds, La Préhension (Springer-Verlag:
Paris, 2000) 119-126.
9- Bleton JP. Rééducation de
la Crampe de l'écrivain. Solal (Marseille) 2004 ; 215 p.
10- Meunier S, Garnero L, Ducorps A, Mazieres
L, Lehericy S, du Montcel ST, Renault B, Vidailhet M. Human brain mapping
in dystonia reveals both endophenotypic traits and adaptive reorganization.
Ann Neurol 2001; 50,4:521-7.
11- Meunier S, Bourdain F, Bleton JP, Garnero
L, Renault B, Vidailhet M, Cortical reorganization after behavioural
training in writer’s cramp. Poster P06.071, 55th Annual
Meeting of the American Academy of Neurology in Honolulu March 29-April
5, 2003. |