Mise au point

Les dystonies focales

Par Luc Defebvre (CHU de Lille)

Nous proposons dans cet article une mise au point destinée aux patients sur le thème des dystonies focales

Une dystonie est définie cliniquement par des contractions musculaires involontaires d’un groupe musculaire, entraînant un mouvement de torsion ou une posture anormale. Ces contractions musculaires peuvent être brèves, prolongées ou soutenues. Elles sont favorisées par la posture et l’action et majorées par le stress. Elles sont parfois contrôlées par un geste antagoniste, caractérisé par un simple attouchement de la région participant à la dystonie (surtout dans la dystonie cervicale) et disparaissent pendant le sommeil.
La posture dystonique peut présenter un aspect répétitif au cours d’une activité définie et interfère dans ce cas avec le mouvement volontaire qui se trouve parasité par les contractions musculaires involontaires. L’arrêt du mouvement entraîne alors la disparition du phénomène dystonique. Par définition, les dystonies focales intéressent un seul groupe musculaire. La dystonie est liée à un dysfonctionnement de structures profondes du cerveau appelées « système des ganglions de la base ».

Principales formes de dystonies focales


1) La dystonie cervicale
C’est la forme la plus fréquente des dystonies focales, encore appelée torticolis spasmodique. Elle est caractérisée par des contractions musculaires involontaires de la région cervicale, portant la tête en rotation (torticolis), en inclinaison (latérocolis), en flexion (antécolis) ou en extension (rétrocolis). Plus fréquente chez la femme, cette dystonie débute vers 40 ans. Elle est souvent précédée de douleurs de la nuque pendant quelques semaines. Le torticolis se manifeste de façon spasmodique par une déviation de la tête survenant par à coups successifs ou parfois sur un mode tonique, la tête étant imprimée d’un mouvement de rotation de façon progressive. Une élévation de l’épaule est souvent observée de façon associée.
Au début, la posture peut être corrigée volontairement mais avec une tendance ensuite à se reproduire. Cette dystonie peut être corrigée par un geste antagoniste, la main du côté de la rotation vient imprimer un attouchement sur la joue sans qu’il ne soit nécessaire d’imprimer fortement un appui ; parfois le contact s’établit sur la joue du côté opposé. L’évolution de la dystonie cervicale est imprévisible (guérisons spontanées après quelques mois d’évolution), le plus souvent la symptomatologie se majore progressivement entraînant une gêne fonctionnelle et psychologique. La dystonie est augmentée par la station debout ou la marche et est améliorée par le décubitus.
Dans la grande majorité des cas, ces dystonies cervicales n’ont pas de causes, on dit qu’elles sont « essentielles ». Des formes secondaires sont décrites (formes aiguës après prise de neuroleptiques) ou au cours de la maladie de Parkinson.

2) Le blépharospasme
Survenant le plus souvent chez une femme vers 60 ans, la dystonie se focalise de façon symétrique ou non aux muscles périorbitaires et aux muscles de la paupière. Initialement, la gêne fonctionnelle est variable (douleurs, gênes oculaires, larmoiements), mais, progressivement, son retentissement sur la vision est souvent important. Initialement, elle se caractérise par des clignements répétés des paupières avec l’apparition secondaire de contractions toniques empêchant, pendant plusieurs secondes, l’ouverture des yeux. Le patient lutte alors contre le spasme par attouchements de la paupière ou en tentant d’ouvrir de façon forcée les yeux. Les contractions dystoniques sont aggravées par la lecture, l’exposition à la lumière, le stress et les contrariétés, calmées par le repos et l’obscurité.
Presque exclusivement d’origine essentielle, des causes médicamenteuses sont possibles (neuroleptiques) ou dans le cadre de syndrome parkinsonien atypique.
Lorsque le blépharospasme est de topographie strictement unilatérale, le diagnostic d’un hémispasme facial débutant doit être évoqué, les manifestations cloniques et toniques sont alors observées uniquement au niveau d’une hémiface. L’hémispasme peut être séquellaire d’une paralysie faciale ou consécutif à un conflit entre un vaisseau et un nerf qui justifiera systématiquement la réalisation d’une IRM.

3) La crampe de l’écrivain
Apparaissant vers l’âge de 40 ans, c’est la plus fréquente des dystonies de fonction. Elle concerne spécifiquement l’écriture, survenant dès la saisie du stylo avec l’apparition d’une posture anormale après plusieurs mots ou phrases. L’écriture devient rapidement impossible. Si cette dystonie focale intéresse les muscles de la main, de nombreux muscles sont également concernés, touchant l’avant bras, le bras et l’épaule, pour tenter de contrôler les contractions musculaires involontaires. La posture est interprétée comme une compensation volontaire afin de limiter l’intensité de la dystonie. Le patient se plaint de douleurs lors de l’écriture. Quelques patients bénéficient d’un geste antagoniste sous forme d’un simple contact de la main opposée sur la main dystonique.
Un tremblement peut s’associer à cette dystonie focale. La crampe de l’écrivain survient souvent dans un contexte d’utilisation fréquente de l’écriture. L’écriture au tableau noir, qui utilise principalement les muscles de l’épaule, est souvent moins affectée. On rapprochera également des crampes des écrivains, des dystonies survenant chez des musiciens (pianistes, accordéonistes, violonistes, guitaristes…) ou chez certains sportifs (golfeurs). Le rôle de mouvements répétitifs dans la survenue de ces dystonies focales est souvent noté.

4) Les dystonies oromandibulaires
Rares, elles peuvent concerner les muscles de la langue, de l’ouverture ou de la fermeture de la bouche ou des mouvements de succion des lèvres. Elles entraînent une gêne pour l’alimentation et parfois la parole. La déglutition est parfois difficile car les différentes étapes du contrôle du bol alimentaire peuvent être affectées.

5) Les dystonies laryngées
L’atteinte dystonique des muscles laryngés est responsable des dystonies spasmodiques, qui s’intègrent également dans les dystonies de fonction puisqu’elles ne se manifestent que lors de la parole. Plus fréquente chez la femme, cette dystonie survient en moyenne dans la 4ème ou 5ème décennie et s’installe de façon insidieuse, prenant souvent un caractère fluctuant au début de l’évolution. On en distingue 2 formes :
- La dysphonie spasmodique en adduction des cordes vocales est la plus fréquente, responsable d’une voie étranglée et souvent hachée. Une gêne respiratoire peut être observée en raison des spasmes respiratoires.
- La dystonie spasmodique en abduction est plus rare, avec une voix chuchotée, murmurée et de faible intensité, confinant parfois à une disparition de la voix.
Dans les 2 types, la dysphonie spasmodique peut être améliorée par le chant, le rire ou la voix criée, un tremblement vocal peut être également associé.

Causes des dystonies focales
Comme nous l’avons mentionné précédemment dans la description de chacune de ces dystonies focales, celles-ci sont le plus souvent d’origine essentielle et isolée au sein d’une même famille, avec parfois pour certaines d’entre elles un caractère familial dont la fréquence est peut être sous estimée. L’analyse clinique systématique des apparentés du 1er degré de patients atteints d’une dystonie focale, permet d’identifier un pourcentage de dystonies qui peut dépasser 25% des cas. Le simple interrogatoire des apparentés sans examen clinique systématique peut donc sous-estimer la fréquence de la dystonie, car son expression est hétérogène (dystonie focale de localisation variable au sein d’une même famille).
Des dystonies focales secondaires ne doivent pas être méconnues. On distinguera :
- Les dystonies aiguës médicamenteuses survenant après quelques heures ou quelques jours de traitement par neuroleptiques, se manifestant par un blépharospasme, une dystonie oromandibulaire ou une dystonie cervicale parfois associées ; les dystonies tardives après prise de neuroleptiques surviennent après plusieurs mois de traitement sous forme de mouvements oromandibulaires, associées parfois à un blépharospasme et une dystonie cervicale ; les dystonies induites par la L-Dopa observées dans le cours évolutif de la maladie de Parkinson.
- Les dystonies focales peuvent être consécutives à des lésions vasculaires. Elles se traduisent par une dystonie segmentaire ou une hémi-dystonie ou par une forme focale (blépharospasme, dysphonie, crampe de l’écrivain, torticolis).
Dans le cadre des pathologies dégénératives, une dystonie focale peut se rencontrer comme une manifestation inaugurale d’une maladie de Parkinson sous une forme d’une crampe de l’écrivain ou d’une dystonie du pied (sujet jeune), d’un blépharospasme et d’un torticolis dans d’autres syndromes parkinsoniens plus rares.

Traitement
Le traitement des dystonies focales repose principalement sur les injections de toxine botulique. Ce traitement strictement symptomatique permet d’obtenir « un blocage » au niveau de la jonction neuromusculaire. Son action est exclusivement locale et peut être retardée après quelques jours ; le bénéfice reste transitoire et justifie de renouveler les injections après quelques mois. Les injections se font par voie sous-cutanée ou intramusculaire et justifient un repérage minutieux des sites musculaires qui seront injectés. Les effets secondaires sont possibles, liés à une diffusion de la toxine vers des muscles adjacents non dystoniques sous forme d’une vue dédoublée dans le cadre du blépharospasme et de troubles de déglutition dans le torticolis spasmodique. Dans les dystonies de fonction, la difficulté sera d’obtenir un repérage minutieux des muscles à l’origine de la dystonie et d’établir la distinction avec des contractions musculaires volontaires qui tentent de limiter la dystonie. Lors de l’écriture avec la main opposée, la position dystonique peut être observée sur la main controlatérale qui est au repos, ce phénomène de dystonie en miroir peut être recherché systématiquement pour préciser quels sont les muscles à l’origine de la dystonie, facilitant ainsi le repérage pour les injections de toxine botulique. L’effet des médications per os reste dans l’ensemble décevant et ne sont plus proposées en première intention. Une kinésithérapie peut être associée aux injections par toxine botulique pour les dystonies cervicales et certaines dystonies de fonction pour tenter de s’opposer aux positions vicieuses déclenchées par la dystonie.

Date de publication : 11-07-2007