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MODE D’ACTION DES NEUROTOXINES BOTULIQUES 

Avec tous nos remerciements à Bernard POULAIN

Introduction
La transmission synaptique entre le nerf moteur et le muscle.
Toxines et neurotoxines botuliques
Sélectivité d'action des neurotoxines botuliques
Organisation fonctionnelle et mode d'action des neurotoxines botuliques
Cibles protéiques des diverses neurotoxines botuliques (BoNT)
Le mécanisme de blocage de la transmission synaptique par les neurotoxines botuliques.
Récupération de la contraction musculaire après l'action des neurotoxines botuliques
Conclusion

Equipe de Physiologie Moléculaire de la Transmission Synaptique. Laboratoire de Neurobiologie Cellulaire, UPR CNRS 9009, Centre de Neurochimie, 5, rue Blaise Pascal, 67084 Strasbourg Cedex, France.
Tel. (33) 88 45 66 77 Fax (33) 88 60 16 64


Introduction

Partant du constat que l'action paralysante des toxines botuliques s'exerce de façon sélective et durable sur la transmission entre les nerfs moteurs et les muscles squelettiques sans avoir d'action sur le système nerveux central, Alan Scott a introduit en 1980 l'utilisation de la toxine botulique de type A en clinique comme alternative à l'intervention chirurgicale conventionnelle du strabisme. Par la suite, cette toxine a été utilisée avec succès dans une grande variété de désordres neurologiques associés à des contractions spasmodiques involontaires des muscles (torticolis spasmodique, blépharospasme, spasme hémifacial, dystonie laryngée).


Le but de cette synthèse est de décrire succinctement le mécanisme par lequel les neurotoxines botuliques bloquent la transmission neuromusculaire. Auparavant, nous évoquerons brièvement les bases de la transmission entre les nerfs moteurs et les muscles.







La transmission synaptique entre le nerf moteur et le muscle.

Le transfert d'informations entre deux neurones ou le passage d'un ordre entre un neurone et une cellule cible (comme entre le motoneurone et la fibre musculaire qui doit se contracter) se fait au niveau de contacts appelés synapses ( Figure1). Le principal mode de communication synaptique implique l'émission (dite libération) d'un messager chimique ou neurotransmetteur par les terminaisons nerveuses du neurone émetteur (dit neurone présynaptique) qui est détecté par la cellule réceptrice (dite postsynaptique). L'acétylcholine est le neurotransmetteur libéré à la jonction entre les nerfs moteurs et les muscles striés squelettiques.

Dans les terminaisons nerveuses, le messager chimique est stocké dans des "vésicules" synaptiques (Figure1). Celles-ci consistent en des petites organelles sphériques de 50 nm de diamètre et délimitées par une membrane lipidique ( Figure2 ). Elles sont au nombre de 100.000 à 500.000 dans les terminaisons des motoneurones (I juin de diamètre sur environ 100 gm de longueur développée). Chacune des vésicules synaptiques du motoneurone contient environ 10.000 molécules du neurotransmetteur acétylcholine

Lors de la commande d'un mouvement volontaire ou lors du maintien de la posture, l'ordre de contraction donné au muscle est codé sous la forme de trains de plusieurs "impulsions bioélectriques" ou potentiels d'action. Chaque potentiel d'action se propage jusqu'aux terminaisons nerveuses des motoneurones et les dépolarise. Il en résulte l'activation de protéines membranaires qui sont perméables aux seuls ions calcium. Ces protéines sont des "canaux ioniques". Comme les ions calcium sont plus concentrés dans le milieu extérieur que dans l'intérieur du neurone, des ions calcium entrent dans la terminaison nerveuse; ils déclenchent alors la fusion de dizaines de vésicules synaptiques avec la membrane de la terminaison neuronale. Par ce moyen, le contenu en neurotransmetteur des vésicules synaptiques est libéré dans l'espace synaptique qui existe entre le neurone émetteur et la fibre musculaire cible. Cette libération est aussi appelée exocytose [pour mise hors (exo) de la cellule (cyte)].


L'acétylcholine libérée par exocytose, diffuse dans l'espace ou fente synaptique (de 0,05 à 01 micron-gramme d'épaisseur) puis est détectée par sa liaison à des récepteurs à l'acétylcholine localisés sur la fibre musculaire. La détection du messager chimique provoque une réponse (dite postsynaptique) qui consiste en une dépolarisation généralement suffisante pour initier un potentiel d'action musculaire. Celui-ci se propage le long de la fibre musculaire et déclenche la contraction de la fibre. La contraction de plusieurs centaines de fibres musculaires donne lieu à la contraction du muscle.


Toxines et neurotoxines botuliques

Les neurotoxines botuliques sont des protéines d'environ 1300 acides aminés produites par divers types de Clostridium botulinum (des bactéries strictement anaérobies) ainsi que par d'autres Clostridia. Les neurotoxines botuliques sont définies comme des neurotoxines du fait de leur action restreinte au seul système nerveux alors que les autres toxines (botulinolysine, toxine C2, exoenzyme C3 ... ) produites par Clostridium botulinum peuvent affecter des types cellulaires divers.

Sept toxinotypes différents de neurotoxine botulique (types A à G) ont été découverts. Ils sont sécrétés avec des protéines non toxiques (dont des hémagglutinines) qui ne semblent pas contribuer à l'action paralysante des toxines. Ces protéines non toxiques se lient à la neurotoxine et le complexe multimoléculaire ainsi formé est appelé toxine botulique. Lors du botulisme, la toxine est ingérée avec des aliments contaminés. Une des fonctions des protéines non toxiques est de protéger la neurotoxine contre les sucs digestifs de l'estomac. Seule la neurotoxine est capturée par l'épithélium intestinal et dissémine dans l'organisme. Toxine et neurotoxine botuliques sont utilisées avec un égal succès en clinique.








Sélectivité d'action des neurotoxines botuliques

Dans les conditions physiopathologiques, les neurotoxines botuliques ne semblent pas franchir la barrière hématoencéphalique qui isole le système nerveux central; de ce fait, leur action reste confinée au système nerveux périphérique ( Figure1). Quoique elles agissent préférentiellement sur les terminaisons nerveuses entre les motoneurones et les fibres musculaires, les neurotoxines botuliques peuvent aussi bloquer la transmission nerveuse au niveau d'autres synapses périphériques, cholinergiques ou non. Ceci est illustré par les symptômes rencontrés lors du botulisme : en effet, on observe des troubles de fonctionnement du système nerveux autonome en même temps que des symptômes moteurs [par exemple : des troubles digestifs (constipation), des troubles de la vision (diplopie ... ), une faiblesse musculaire]. Lors du botulisme, quand la concentration circulante de neurotoxine botulique augmente, la maladie prend une forme sévère du fait de l'installation d'une paralysie neuromusculaire flasque. C'est cette action paralysante qui est exploitée en clinique (traitement des dystonies focales). Notez que dans les conditions de l'utilisation thérapeutique, la neurotoxine ou la toxine botulique sont appliquées localement par injection. De ce fait, comme elles ne diffusent pas ou très peu hors du site d'injection, leur action paralysante reste confinée aux jonctions nerfs-muscles qui sont voisines du site d'injection.


Organisation fonctionnelle et mode d'action des neurotoxines botuliques

Le mode d'action des neurotoxines botuliques peut être décomposé en quatre grandes étapes

 1) liaison à des récepteurs localisés sur les régions amyéliniques des terminaisons des motoneurones (Figure 1),

 2) capture de la neurotoxine par le motoneurone (Figure 1, flèche). Celle ci consiste en l'endocytose (internalisation) du complexe neurotoxine/récepteur,

 3) translocation de la chaîne légère de la toxine du compartiment de capture (vésicule d'endocytose) vers le milieu intracellulaire (cytosol ) de la terminaison du motoneurone (Figure 1, flèche) et


4) action sur une cible intracellulaire (Figure 2).

Les diverses neurotoxines botuliques sont toutes composées de deux grands modules fonctionnels appelés chaîne légère et chaîne lourde (Figure 3). Chacune des chaînes contient plusieurs domaines fonctionnels auxquels on peut attribuer un rôle précis dans le processus d'intoxination. L'étape 1 impliquerait deux sous domaines localisés dans la seconde moitié de la chaîne lourde des neurotoxines. L'étape 3 (translocation) impliquerait la première moitié de la chaîne lourde. L'étape 4 (blocage de la libération des neurotransmetteurs) est dû uniquement à un domaine catalytique localisé au milieu de la chaîne légère.

Figure 1


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Les neurotoxines botuliques agissent uniquement sur les synapses périphériques. Elles se lient à des récepteurs localisés sur les régions amyéliniques et entrent dans les terminaisons nerveuses. Les vésicules synaptiques qui contiennent le neurotransmetteur sont symbolysées par des ronds gris. L'acronyme BoNT indique la toxine (pour Botulinum NeuroToxin). La flèche noire symbolise l'endocytose de la toxine et la translocation de sa chaîne légère. La région encadrée est agrandie dans la figure 2.



Figure 2


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Cibles protéiques des diverses neurotoxines botuliques (BoNT) L'acronyme VAMP désigne la VAMP/synaptobrévine. Le trait gris symbolise les autres protéines. La membrane des vésicules synaptiques et la membrane neuronale sont symbolysées comme des bicouches lipidiques. Lors du processus d'exocytose, les protéines VAMP, SNAP 25 et syntaxine s'associent en un complexe qui force la membrane vésiculaire à fusionner avec la membrane neuronale.


Figure 3








Figure 3.
Structure modulaire des neurotoxines botuliques. Elle est représentée avec une indication du rôle des domaines protéiques dans l'action des neurotoxines.




Le mécanisme de blocage de la transmission synaptique par les neurotoxines botuliques.

De nombreuses études ont montré que les diverses neurotoxines botuliques n'affectent pas les canaux ioniques présynaptiques impliqués dans les potentiels d'actions. L'entrée des ions calcium dans la terminaison nerveuse n'est pas significativement diminuée et les récepteurs postsynaptiques ne sont pas bloqués. En fait, le blocage de la transmission synaptique par les diverses neurotoxines botuliques est uniquement dû à l'inhibition de la libération des neurotransmetteurs par exocytose (c'est à dire par fusion des vésicules avec la membrane des terminaisons nerveuses).

Les neurotoxines botuliques comme la toxine tétanique sont des endopeptidases à zinc, c'est à dire des enzymes capables de couper des protéines. Les cibles intraneuronales de ces "ciseaux moléculaires" sont trois protéines impliquées dans l'exocytose du contenu des vésicules synaptiques en réponse à une entrée de calcium dans le neurone. Ces protéines sont la VAMP/synaptobrévine, la SNAP25 et la syntaxine (Figure 2). Les travaux récents ont montré que toutes les trois sont impliquées dans la fusion des vésicules de sécrétion ou des vésicules synaptiques avec la membrane des cellules sécrétrices ou des neurones.


Une caractéristique importante des neurotoxines botuliques est leur très haute spécificité d'action intracellulaire puisque qu'elles n'attaquent que ces trois protéines parmi les quelques milliers présentes dans les cellules. Ainsi, la SNAP 25 est coupée par les neurotoxines de type A (celle utilisée en clinique), E et C. La VAMP/synaptobrévine est la cible des neurotoxines B, D, F et G. La neurotoxine de type C attaque aussi la syntaxine.



Récupération de la contraction musculaire après l'action des neurotoxines botuliques

L'inhibition de la transmission entre le nerf moteur et le muscle par les neurotoxines botuliques est irréversible à court terme. Elle dure de quelques semaines à quelques mois selon le type de neurotoxine administré. C'est là une limitation importante à l'utilisation de ces toxines en clinique puisque le blocage de la transmission entre le nerf moteur et le muscle n'est que temporaire. Les mécanismes de la récupération fonctionnelle des synapses empoisonnées ne sont pas encore tous compris. D'une part, de nouveaux contacts synaptiques fonctionnels sont très rapidement mis en place par bourgeonnement et poussée de nouvelles terminaisons nerveuses à partir des prolongements des motoneurones empoisonnés. Ils permettent de retrouver une commande motrice efficace alors même que l'ancienne synapse est encore bloquée. D'autre part, les protéines synaptiques coupées par les neurotoxines botuliques sont remplacées progressivement dans les terminaisons des motoneurones ce qui permet au processus d'exocytose de refonctionner dans la synapse empoisonnées.




Conclusion

Pour résumer, en coupant l'une ou l'autre des trois protéines synaptiques VAMP/synaptobrévine, SNAP 25 et syntaxine, la chaîne légère des neurotoxines botuliques empêchent la fusion des vésicules qui contiennent le neurotransmetteur avec la membrane neuronale. Les neurotoxines botuliques bloquent ainsi la libération des neurotransmetteurs messagers qui servent à commander la contraction musculaire. Quoique les protéines cibles des neurotoxines botuliques existent dans tous les neurones et même dans des cellules non neuronales (cellules chromaffines, cellules b du pancréas qui libèrent l'insuline) l'action des neurotoxines botuliques est restreinte aux Jonctions neuromusculaires motoneurones parce que leur chaîne lourde reconnait des récepteurs spécifiques des motoneurones.

Remerciements.

Le travail de l'auteur sur les neurotoxines clostridiales et les mécanismes de libération des neurotransmetteurs bénéficie d'une aide de l'Association Française contre les Myopathies et de la DGA.