La dépression











Autrefois apanage d'une certaine élite intellectuelle, la dépression est devenue une maladie ordinaire de notre société qui ne sait plus écouter. Cette banalisation se concrétise d'ailleurs dans les expressions familières et le vocabulaire quotidien. Tout le monde reconnaît avoir eu, à un moment ou à un autre, un "coup de déprime" ou avoir été complètement déprimé. Derrière ce terme générique de dépression se cachent cependant une multitude de situations et des degrés différents de mal être. Pour lever le voile sur ce "mal du siècle", Parenthèse a imaginé une rencontre avec un psychiatre de renommée internationale, le Dr William Alien. Si le personnage est fictif, ses réponses n'en sont pas moins très sérieuses. Et elles vous expliqueront tout ce que vous avez toujours voulu savoir sans jamais oser le demander.
Parenthèse : La dépression est devenue un phénomène banal. Serait-ce la découverte du mal du siècle de notre été ?

Dr William Alien : Vous parlez de "mal du siècle". Non, nous n'avons rien inventé, bien sûr ! Depuis le fameux "mal du siècle" des poètes romantiques - qui faisait dire à Chateaubriand qu'il "portait sa vie en écharpe" pour désigner alors d'un joli nom la mélancolie -, rien n'a vraiment changé. Quand Baudelaire parlait du spleen, où "le printemps adorable a perdu son odeur", c'était encore la fameuse déprime d'aujourd'hui. Notre époque a pris sa marque et ce n'est plus "un privilège" d'artiste ou de poète; la déprime s'est simplement démocratisée.

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Parenthèse. : Vous n'aimez pas employer le terme de malade pour désigner vos patients. Pourquoi cette réticence ?

Dr W. A. : Effectivement, j'ai beaucoup de répugnance à les appeler malades à moins que, comme l'affirme le célèbre Dr Knock de Jules Romains, nous soyons tous des malades en puissance. Je préfère les appeler des patients parce que dans "patient", il y a "patience"... Or, la dépression est une affection souvent longue à traiter.

Parenthèse. : Quel âge ont généralement les personnes atteintes de dépression et que leur est-il arrivé

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Dr W. A : J'ai envie de vous répondre par une boutade : ils ont de sept à soixante-dix sept ans. En réalité, il semble que cette affection touche plus les personnes âgées de vingt cinq à cinquante ans et qu'elle ait une plus grande fréquence chez la femme que chez l'homme. Qu'est-il arrivé à tous ces patients ? C'est bien simple : nous vivons dans une civilisation où il n'y a plus ou presque plus de repères. En outre, l'homme passe aujourd'hui directement de l'enfance à l'âge adulte et se retrouve propulsé dans une société anonyme. Autrefois chacun avait son boucher, son crémier, sa concierge Aujourd'hui, l'individu n'est plus qu'un numéro de sécurité sociale. Quand on pense que l'on peut passer une journée, une semaine, voire un mois sans adresser la parole à quiconque ! Or, l'individu a besoin d'être écouté : cette écoute le fait exister. Peut-être, un jour, verra-t-on des écouteurs publics comme il existe des écrivains publics…

Elle est bien lointaine l'époque où l'exorciste traitait la dépression et où le Laudanum était le seul remède contre la mélancolie.

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Parenthèse. Comment la dépression se traduit-elle

Dr W. A. : Elle se traduit souvent de façon insidieuse par des sautes d'humeur, des troubles du caractère, une irascibilité inhabituelle et surtout par de l'insomnie. L'insomnie est sans doute le signe qui apparaît le premier : il constitue ce que l'on pourrait nommer "un signal symptôme. Par la suite, le tableau est p[us évocateurs : le sujet est souvent triste, il se replie sur lui-même, ne veut voir personne, ne se trouve bien que dans son lit, ne s'intéresse plus à rien. La lassitude le gagne. Il est parfois envahi par des idées de culpabilité, il se sent dévalorisé et n'éprouve plus de plaisir à jouir de la vie. Il n'est pas rare qu'à ce stade, il ait des idées de suicide ou ne s'exprime que pour demander à dormir "Le sommeil et la mort, disait Byron, sont cousins germains..."

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Parenthèse : Vous n'avez pas parlé de l'angoisse et de l'anxiété. Comment se traduisent-elles ?

Dr W. A. : Vous vous souvenez sans doute que nos ancêtres les Gaulois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête... C'était déjà cela l'angoisse, la peur, la peur de la peur, ce malaise indéfinissable, cette boule qui nous prend à la gorge, ce nœud au creux de l'estomac. C'est la peur de l'inconnu ou encore la réaction d'un sujet face à une situation qu'il n'arrive pas à maîtriser.

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Parenthèse. Peut-on guérir de la dépression ?

Dr W. A. : Heureusement oui ! Elle est bien lointaine cette époque où l'on faisait appel à l'exorciste pour traiter ces maladies et beaucoup moins lointaine l'époque où le Laudanum était le seul remède contre la mélancolie. La pharmacopée a fait des progrès extraordinaires. En 1952, la découverte de la chlorpromazine (le Largactil) a ouvert la voie à une nouvelle ère thérapeutique. En 1954, le méprobamate, plus connu sous le nom d'Equanil, nous a permis de disposer du premier tranquillisant anxiolytique. Certes, on connaissait déjà les effets tranquillisants de l'alcool et des opiacés; mais on savait aussi quel tribut il fallait payer pour quelques instants de tranquillité...

En 1959, la découverte fortuite de l'iproniazide a permis d'agir avec succès sur les formes de dépression les plus graves.

Cette découverte ouvrira la voie à d'autres antidépresseurs dont l'efficacité n'est plus à démontrer.

Enfin, en 1970, l'utilisation des sels de lithium permettra la stabilisation de ces dépressions dites "cycliques". Parallèlement, la psychanalyse initiée par Freud puis développée par Jung, Adler, Lacan, etc. est venue s'ajouter à l'arsenal thérapeutique. La psychanalyse n'est pas incompatible avec les traitements chimiques de début. Et elle peut, ensuite, accompagner le patient dans la recherche de son identité.

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Parenthèse. : Finalement, la folie, les fous existent-ils réellement ?

Dr W. A. : La folie est quelque chose qui suscite la peur ou l'hilarité. Pour ma part, je ne l'ai jamais rencontrée. Quant aux fous, ils ne doivent pas fréquenter les cabinets de consultation des psychiatres. Nous recevons des personnes déprimées, angoissées, des gens trop tristes ou trop gais.

En règle générale, ceux que nous recevons sont conscients de leur malaise et nous demandent notre aide. Nous leur prêtons à tous une oreille attentive : nous les écoutons.