ARTICLES SUR
L'HISTOIRE DE LA PSYCHANALYSE EN FRANCE
Roger Perron,
Psychanalyse et psychothérapie en
France après la seconde guerre mondiale
Conférence à la
Société Psychanalytique de Paris, 15 mai 2001.
Au lendemain
dune guerre terrible, dans un monde traumatisé et
bouleversé, les psychanalystes vont se poser dans des
termes nouveaux la question des rapports entre
psychanalyse et psychothérapie ; ils vont beaucoup
flotter à cet égard, car Freud nest plus là pour
leur dire ce quil convient den penser. Leurs
tâtonnements procèdent pour une part
dincertitudes théoriques, techniques, et même
sémantiques. Sémantiques : le terme "
psychothérapie " est tantôt pris dans un sens
très large, couvrant toute action visant à soigner des
troubles ou difficultés psychiques, tantôt dans un sens
beaucoup plus restreint, où il ne sagit plus que
dune modalité particulière du travail du
psychanalyste avec son patient. Théoriques : la
psychanalyse est-elle une psychothérapie ? Freud, pour
lessentiel, répondait oui en prenant le terme
" psychothérapie " au sens large (cest
une démarche psychothérapique parmi dautres) mais
elle est bien plus quune thérapeutique. Techniques
: des entretiens en face à face peuvent-ils donner
naissance à un véritable processus psychanalytique, et
dès lors peut-on considérer quil sagit
encore danalyse ?
Deux facteurs vont
contribuer, en France comme dans dautres pays, à
modifier la donne, à faire sortir la question dun
débat académique ou technique réservé aux analystes.
Le premier est lampleur et lurgence des
besoins : la guerre a laissé en très grand nombre des
adultes et des enfants traumatisés pour lesquels est
nécessaire une prise en charge que la psychiatrie ne
peut assez assurer ; la psychanalyse semble à bien des
égards mieux armée pour y faire face. Second facteur,
lapparition dune nouvelle catégorie de
professionnels qui pourraient fournir les personnels
nécessaires : les psychologues, qui vont constituer une
sorte de prolétariat de la psychothérapie dont la masse
croissante et les revendications de dignité
professionnelle vont peser lourd dans ce débat.
Il serait intéressant de
comparer sur ces bases la façon dont la question des
psychothérapies a évolué dans quelques grands pays, au
premier chef la France, la Grande Bretagne et les
Etats-Unis. Ce serait un travail considérable, dont je
ne dirai rien ici, sauf à en suggérer lintérêt.
Je me bornerai donc, dans ce qui suit, à offrir quelques
points de repère, en me limitant de plus à ce qui
sen en joué dans lorbite de la Société
Psychanalytique de Paris, et dans la période 1945-1965.
Jespère cependant que, en dépit de cette
limitation, cela permettra de jeter les bases dune
réflexion plus étayée.
Dune première
approche, même cursive, il se dégage deux évidences :
- vers 1950, le terme
" psychothérapie " désigne en
général, aux yeux des analystes eux-mêmes une
forme de pratique psychanalytique mineure,
utilisable dans des cas supposés faciles, et
quon pense pouvoir confier à des gens peu
formés à la pratique psychanalytique. On en
reste pour lessentiel à lopinion
émise par Adrien Borel lors dune réunion
de la Société Psychanalytique de Paris le 18
juin 1935 : cest " une forme
régressive de la psychanalyse...".
Cest donc une technique quon
conseille dutiliser avec les enfants,
supposés constituer des cas plus faciles, parce
que moins " complexes " que les
adultes, et que dailleurs on ne peut
allonger sur un divan....
- Comme cest tenu
pour plus facile, on peut envisager que ces
actions soient concédées à des thérapeutes
non-médecins, mais sous surveillance dun
médecin qui prescrit la cure et en suit le
déroulement. Avec lémergence dune
nouvelle profession, celle des psychologues, le
débat va devenir aigu : certains pensent que,
sil sagit de psychanalyse, même
" dégradée ", seuls les médecins
doivent pouvoir conduire ces traitements ;
dautres admettent sa pratique par des
non-médecins, mais mettent alors laccent
sur une visée plus éducative que
thérapeutique.
Il est clair que, ce qui
sous-tend ces prises de position, ce sont les conceptions
sur les visées de la cure analytique elle-même, et ce
qui peut en être conservé dans ses formes supposées
mineures. Ces conceptions sordonnent, me
semble-t-il, sur trois axes. Sur un premier axe, la
visée essentielle de lanalyse et par
extension de la psychothérapie- est dordre
cathartique : ceci nest guère préconisé dans la
psychothérapie avec les enfants, sauf peut-être en cas
de traumatisme majeur, mais alors il est fermement
soutenu que cela doit être aux mains dun médecin.
Sur un second axe, la visée est réparatrice, supposant
une phase préalable plus ou moins longue dune
régression plus ou moins profonde ; dans le cas de la
psychothérapie avec les enfants, cette visée
réparatrice se fait volontiers maternelle, maternante,
au point que le ou plutôt la- psychothérapeute
apparaît cousine de léducatrice du jardin
denfants... Sur un troisième axe, laccent
est mis sur lexplication, voire même
léducation, dans une position qui apparente le
la- psychothérapeute à une institutrice ès
choses sexuelles. Bien évidemment, ce sont les positions
qui sous-tendent alors la cure psychanalytique
elle-même, dans un contexte fortement marqué au cours
de toute cette période par Anna Freud et lego
psychology américaine.
Telles sont les grandes
lignes dune histoire dont je vais tenter de situer
quelques jalons, certainement très incomplets.

Cest dans cette
optique générale que la SPP crée en son sein, le 13
décembre 1949, une " section de psychanalystes
denfants " , H. Sauguet assurant " la
liaison avec le bureau de la SPP ". Cette Section se
réunira ensuite tous les premiers Mardi du mois ; la RFP
mentionne des exposés de cas de psychothérapies
denfants par Berge, Lebovici, Mme Dreyfus-Moreau,
Maud Mannoni, Françoise Dolto, Juliette Boutonier, etc.
(RFP, 1951, vol. 15, 1, p. 130-135) ; mais, soit
que cette Section ait cessé de se réunir, soit que
dautres sujets aient paru plus importants, la Revue
Française de Psychanalyse nen fait plus mention
après 1950.
Les documents sont plus
explicites sur un projet de formation de
psychothérapeutes denfants, bien significativement
rebaptisés dans ce projet " conseillers
denfants agréés par la SPP ", une formation
qui déboucherait sur un diplôme
Ce projet est exposé de
façon détaillé dans la Revue Française de
Psychanalyse en 1949 (RFP, 1949, vol. 13, p. 436-441)
Lexposé des motifs
déclare en préalable: " Si la psychanalyse
nest ni la seule psychothérapie, ni applicable à
tous les cas, elle seule a apporté une théorie
générale des psychothérapies et assure au
psychothérapeute une formation satisfaisante dont
lanalyse didactique est la base ". Mais,
ajoute-t-on, les besoins sont tels que " tous les
psychothérapeutes denfants ne peuvent actuellement
subir la nécessaire analyse didactique ". Il
faut donc faire appel à un appoint extérieur. On
sélectionnera pour cette formation des psychologues : la
licence de psychologie est, dit-on, " souhaitable
". Je rappelle quà ce moment, 1949, elle
vient juste dêtre créée (en 1947), le seul
diplôme dans ce domaine étant jusque là un diplôme de
psychopathologie délivré par lInstitut de
Psychologie de Paris, qui était alors un Institut
inter-universitaire placé sous le triple patronage des
Facultés de Médecine, des Sciences et des Lettres.
Le candidat à cette
formation de " conseiller denfants ",
quil ait ou non la licence de psychologie, doit
avoir au moins un an dexpérience professionnelle
avec des enfants. Il faut quil soit "
travailleur, patient et persévérant, quil ait de
lordre et de la méthode, quil soit
sympathique "... En fait, quant on lit ce qui
est attendu de lui (et qui est supposé être le reflet
de ce quest lanalyste), on est pris de
vertige : " aptitudes intellectuelles à la fois
élevées et variées, aptitude à penser labstrait
et le concret, compréhension, esprit critique,
imagination, souplesse desprit, maturité
affective, tolérance, absence de prétention et de
dogmatisme, tact, discrétion, patience, bonté,
simplicité, réserve, défiance envers les schémas tout
faits, intuition et pénétration psychologique, minimum
de souffrance psychique, capacité dêtre heureux,
efficience, réussite, stabilité affective, tolérance
à la tension, aptitude à se détendre et à jouer,
connaissance de soi et autocritique, humour... "
etc. Toutes qualités dont évidemment Sacha Nacht et
Jacques Lacan, personnages clés de cette époque,
étaient évidemment les modèles ! On est tenté de leur
demander, comme Figaro au Comte : " Aux vertus
quon exige dans un domestique, Votre Excellence
connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes
dêtre valets ? "
Cest cependant sur
ces critères que le projet prévoit la sélection des
candidats, par une commission de trois membres de la SPP,
sur la base dentretiens et de tests daptitude
et de personnalité... Au programme de
lenseignement : biologie, maladies des enfants,
psychopathologie infantile, techniques de psychothérapie
(36 heures en tout), et stages. Un diplôme est délivré
après deux années détudes. Quant à
lexercice professionnel ainsi ouvert, il
sagira de travailler avec des enfants "
dans les cas où une psychanalyse nest pas
nécessaire ou indiquée, ou impossible ". Le
rôle du " conseiller denfants " sera de "
seconder le médecin dans lexamen et le traitement
psychologique des enfants inadaptés (...) il ne fait
donc pas double emploi avec le psychanalyste
denfants, ni ne se confond avec lui "..
Ceci nest pas si clair, puisque " le
psychanalyste denfants " nest par
ailleurs pas défini ; la différence réside donc
essentiellement en ceci que le " conseiller
denfants " occupe une position secondaire où
il " seconde le médecin ", psychanalyste ou
non.
Quen est-il advenu ?
Pas grandchose semble-t-il si lon considère
le manque de références ensuite dans la revue
Française de Psychanalyse....

On en trouve cependant une
résurgence deux ans plus tard, en 1951 donc, avec un
projet que Sacha Nacht, alors président de la SPP,
adresse aux titulaires en novembre 1951.
Cest le "
projet dun statut des auxiliaires de psychanalyse
", qui vise en fait à donner un statut de
psychanalyste à des psychologues. Selon ce projet, les
candidats au diplôme qui donnerait accès à cette
nouvelle profession devaient posséder, soit la licence
de psychologie (créée quatre ans auparavant), soit le
diplôme de psychopathologie de lInstitut de
Psychologie de Paris.
Cette formation supposait
: faire une analyse didactique personnelle, puis conduire
deux analyses sous supervision, suivre un enseignement
théorique et faire un stage dun an dans un service
de neuro-psychiatrie. Lexamen final prévoyait un
travail clinique écrit et un oral. Le diplôme, selon ce
projet de Nacht, devait être préparé et soutenu dans
le cadre de la Faculté de Médecine de Paris, le corps
professoral étant constitué de professeurs de cette
Faculté et de titulaires de la SPP. Il est évident que
Nacht voyait là un moment important de son action en
faveur de la création dune chaire de psychanalyse
à la Faculté de Médecine, chaire dont il espérait
bien être le premier titulaire... Cela ne se fit pas, du
fait du manque évident denthousiasme des
professeurs de cette Faculté... mais aussi de la
rivalité latente avec Lagache qui, lui, espérait bien
quune telle création se ferait dans le cadre de la
Faculté des Lettres, où il enseignait lui-même...
Ce projet ne mentionne pas
explicitement le terme " psychothérapie ", et
dit bien quil sagit de former des
psychanalystes. Mais le contexte, et le choix même du
terme " auxiliaire de psychanalyse ", montrent
bien, ici encore, quil sagit de
psychanalystes de second rang, un peu sur le mode de ce
quétaient autrefois les " officiers de santé
" subordonnés aux docteurs en médecine (je
rappelle que cest à dessein que Flaubert fit de
Charles Bovary un officier de santé, et non un
médecin...). Il semble bien que, en dépit du prestige
de Nacht, ce projet nait pas, lui non plus, abouti.

En tout ceci, il apparaît
donc bien quaient été étroitement intriquées
deux questions. Première question : la psychothérapie
est-elle ou non une forme mineure de la cure
psychanalytique, essentiellement applicable aux enfants ?
Seconde question : si oui, peut-on ou non admettre à sa
pratique des gens qui, supposés moins formés que les
médecins à la pratique des soins, seraient cependant
utilisables sous surveillance médicale, à savoir les
psychologues ?
La question va prendre un
grand retentissement médiatique à loccasion du
procès intenté par lOrdre des Médecins à
Margaret Clark-Williams, une psychologue accusée
dexercice illégal de la médecine (Schopp, 1990)
Margaret Clark-Williams
est une psychanalyste américaine analysée par Leuba ;
elle est membre de la SPP et travaille au Centre Claude
Bernard dirigé par André Berge. Elle nest pas
médecin.; elle suit cependant en pratique privée
quelques uns des enfants qui lui sont adressés. En mars
1950, lOrdre des médecins porte plainte contre
elle, pour exercice illégal de la médecine,
puisquelle exerce une pratique médicale sans être
médecin. Mais témoignent en sa faveur Leuba, Berge,
Lagache, Juliette Favez-Boutonier, Cenac, qui tous
témoignent de sa bonne formation, du sérieux de son
travail et de son appartenance à la SPP. Le sens
général de ces témoignages est quelle travaille
sous contrôle médical strict, et quau demeurant
son action est bien plus dordre pédagogique que
thérapeutique. Lavocate qui la défend reprend ces
arguments en disant quil sagit en fait
dune " rééducation psychique ", et que
cela ne dépasse guère laction dune mère
attentive. ou dune institutrice intelligente...
Bref, cette ligne de défense consiste à désigner les
psychothérapies pratiquées par Mme Clark-Williams de
termes non médicaux. Il est clair en fait quil
sagit bien de psychothérapie, mais déguisée sous
des termes dapparence pédagogique... Sensible à
cette argumentation, le tribunal prononce
lacquittement et condamne lOrdre des
médecins aux dépens. Cependant, celui-ci fait appel. En
seconde instance, il y aura au contraire, en juillet
1953, condamnation pour exercice illégal de la
médecine. Car lors de cet appel, le nouveau tribunal
voit les choses autrement : il cite dans ses attendus...
le Règlement de la SPP, qui précise que " la
psychanalyse est essentiellement une technique médicale
dont les névroses ne présentent que le domaine
déclosion ", et qui préconise pour le
psychanalyste " des qualifications médicales et
parmi elles la spécialisation psychiatrique "...
Margaret Clark-Williams est en conséquence condamnée à
une amende symbolique (qui sera dailleurs
amnistiée un peu plus tard).
Ce procès illustre bien
les ambiguïtés de la SPP en ce qui concerne le
problème posé par les pratiques thérapeutiques autres
que la cure de divan mais inspirées de la psychanalyse,
et la question, qui lui est intimement liée, de
lanalyse par les non-médecins. Ces tensions
aboutiront à la scission de juin 1953.

Ce procès Clark-Williams
agite les esprits, et nourrit les controverses entre
médecins et non médecins, psychiatres et non
psychiatres, et parmi les psychanalystes eux-mêmes.
La Société
médico-psychologique va en débattre chaudement. Le 25
novembre 1951, on y entend une communication de Serge
Lebovici et Georges Heuyer ; je rappelle qualors
Lebovici, jeune psychiatre et analyste de fraîche date,
a 36 ans.
Lors de cette réunion, on
saccorde à penser quil est préférable que
les psychothérapies soient faites par des médecins,
mais vu limportance des besoins on peut admettre
une pratique de non-médecins ; cet argument est
souligné dans cette séance par Lacan, selon qui "
il est difficile de se passer du concours des meilleurs
parmi les psychologues en mesure daider les
médecins ", et cette position est soutenue par
Daumezon (Schopp, 1990, doc 8)
Quant à lOrdre des
Médecins, il sen préoccupe dautant plus
quil est alors engagé dans le procès que je viens
dévoquer. Il crée une Commission pour définir le
rôle des psychologues, commission qui se réunit les 8
janvier et 27 mai 1952.
Tout le monde
saccorde lors de cette réunion pour leur consentir
dappliquer des tests... Mais peut-on leur accorder
aussi de conduire des psychanalyses et des
psychothérapies ? Et peut-on suivre Nacht lorsquil
envisage des " auxiliaires de psychanalyse "
non médecins ? Nacht évidemment soutient son projet
devant cette Commission de lOrdre des Médecins,
spécifiant quil sagirait d "
auxiliaires " formés par la SPP. Lagache le suit,
mais met en valeur la formation des psychologues à
lInstitut de Psychologie de Paris, où il se trouve
quil enseigne... Dautres, notamment Lhermitte
et Delay, se prononcent contre la pratique de
lanalyse et des psychothérapies par des
non-médecins .
Conclusion du débat : "
la psychothérapie est uniquement du ressort du médecin
" . Lambiguïté est ici patente, dans la
mesure où le terme " psychothérapie "
désigne alors semble-t-il plutôt la cure
psychanalytique elle-même. Mais sil sagit
seulement de " rééducations psychiques ", ou
de " rééducations affectives ", de
lordre de la pédagogie et non de la médecine
comme plusieurs lont soutenu lors du procès
Clark-Williams ? Il sagissait bien sûr alors
darguments dopportunité pour éviter une
condamnation ; mais leur reprise par les psychanalystes
eux-mêmes, dans ce débat au sein de lOrdre des
Médecins, montre bien que ces termes sont significatifs
dune option qui voit la psychothérapie, et en fait
la psychanalyse, comme une entreprise de "
correction " de développements et fonctionnements
psychiques fâcheux ; et que le processus psychanalytique
y est considéré comme régression cathartique,
déblocage d " affects coincés " et
résolution de fixations, puis reconstruction.
Sur ces bases assez
confuses, les psychologues, ainsi rebaptisés "
rééducateurs psychiques ", sont plus volontiers
admis. Heuyer en dit lutilité dans son service :
mais la commission est unanime (y compris donc Lagache,
Nacht, Lacan, Cenac...) à dire que cela ne doit
concerner que les enfants, pas les adultes (Schopp, 1990).
Il est utile de signaler que, beaucoup plus tard,
lidée dune action thérapeutique qui ne dit
pas son nom ressurgira avec la création, à
lInstitut de Psychologie, dun Diplôme
dEtudes Supérieures Spécialisées baptisé "
Conseil psychologique "...

De tout ceci ressort la
sensation que, dans cette période, cest à dire
vers 1950, le discours est souvent brouillé par
lambiguïté du langage. En effet, le terme "
psychothérapie " est tantôt pris dans un sens
très général de " méthode de soin psychique
", où la psychanalyse est une des psychothérapies
possibles ; tantôt au contraire il est pris dans un sens
restrictif, où la psychothérapie est une variété de
pratique psychanalytique. En ce second sens, la
psychothérapie est souvent vue comme une pratique
psychanalytique dégradée, qui peut être confiée à
des personnages secondaires (psychologues ou pas) à
condition quils soient contrôlés de près par un
médecin. On peut dailleurs remarquer que les
textes disent en général " médecin ", sans
préciser sil doit être psychanalyste. Ce
nest pas simple négligence de langage. Dune
part, en cette période les médecins spécialistes sont
encore en France peu nombreux : on en reste au credo
traditionnel selon lequel un médecin peut tout soigner.
Dautre part tout ceci se développe en fait sous la
pression des psychiatres ; il est souhaitable que le
médecin contrôleur soit psychiatre, mais il nest
pas nécessairement psychanalyste : cest le cas
dans certains grands services comme celui de Heuyer, et
un peu plus tard de Delay.
Ce problème des
psychothérapies est pris dans le cadre de discussions
très vives qui concernent la pratique psychanalytique
elle-même : sagit-il ou non dune
thérapeutique, à réserver aux médecins ? La question
se pose avec acuité, au sein même de la SPP, en ce qui
concerne les procédures de formation. Il sagit
alors en effet de faire renaître de ses cendres
lInstitut de Psychanalyse, un Institut fondé le 10
janvier 1934 sous la direction de Marie Bonaparte, mais
qui au lendemain de la guerre était tombé en sommeil.
Nacht et Lacan, encore amis et alliés, élaborent un
" Règlement et doctrine de la Commission
dEnseignement déléguée par la Société
Psychanalytique de Paris ", publié dans la RFP en
1949 (RFP, 1949, vol. 13, 426-435). Lécart de
leurs positions, quant à la pratique et à la technique
analytiques, mais aussi quant à la sélection et la
formation des élèves, apparaît déjà dans les
discussions qui préparent la rédaction de ce document ;
elles vont saccentuer ensuite, débouchant sur deux
projets distincts de statuts de lInstitut, et
finalement sur la scission de 1953 et la création de la
Société Française de Psychanalyse. Débarrassée de
Lacan et de ceux qui sont partis avec lui, la SPP, dès
lors fermement tenue en main par Nacht, crée -ou plutôt
recrée- officiellement lInstitut de Psychanalyse
lors dune séance solennelle, le 1er
juin 1954, où Nacht affirme que la psychanalyse est une
discipline médicale, et où le directeur de cabinet du
ministre de lEducation nationale lui apporte son
appui. On aurait pu croire alors que cela devait sceller
le sort des psychothérapies comme formes mineures
danalyse étroitement contrôlées par des
médecins, de préférence psychiatres ; en fait, il
nen sera rien. Ceci parce que, sous-jacent à ces
discours officiels, se développe tout un mouvement qui
va dans un sens bien différent et prépare les positions
daujourdhui.

Le 19 décembre 1950 est
créé un " Syndicat National des médecins
psychanalystes ", exclusivement composé de membres
de la SPP médecins, dont on désigne aussitôt les
administrateurs : Benassy, Berge, Bouvet, Cenac, Lacan,
Lagache, Nacht, Parcheminey, Pasche, Schlumberger ; et ce
conseil dadministration élit aussitôt son Bureau.
Lexistence de ce Syndicat sera " officialisée
" le 9 mai 1951, ce qui, peut-on supposer, signifie
que les statuts légaux en ont été déposés à cette
date. Il semble navoir eu ensuite aucune existence
ni activité réelles, car la Revue française de
Psychanalyse nen fait plus jamais mention.
Plus sérieuse et plus
durable est la création dun " Syndicat
National des psychologues psychanalystes "
(Bourgeron, 1990), due à un travail soutenu de Mauco et
Anzieu (lequel Anzieu, agira ensuite de même pour
obtenir un statut professionnel des psychologues qui
naura dexistence officielle quen 1985).
Avec le soutien de Marie Bonaparte et de Daniel Lagache,
ils élaborent un avant-projet qui indique que le
psychologue (psychanalyste) " conseille "
et " aide à la réadaptation des consultants
dont la relation avec autrui est perturbée ".
Les termes " conseil ", " aide ",
" réadaptation ", vont bien dans le sens
dune prise en charge qui serait plus de
lordre dune action psychologique, voire
rééducative, que dune entreprise thérapeutique.
Celle-ci est cependant affirmée par ailleurs : " le
psychologue psychanalyste peut traiter des malades
souffrant daffections médicales et psychiatriques
caractérisées : psychoses, psychonévroses,
perversions, délinquances graves, affections
psychosomatiques, etc. " Le texte ajoute
prudemment : " Mais sil intervient dans ce
domaine, ce ne peut être quà la demande dun
médecin psychiatre ". Il sagit donc,
semble-t-il, et au risque dun certain manque de
cohérence, dun texte qui tente un compromis, où
la notion de " thérapeutique " savance
à labri de considérations dune toute autre
nature.
Ce Syndicat est fondé
lors dune réunion qui se tient le 15 décembre
1953 au domicile dAnzieu, qui rédige les statuts ;
Mauco est élu Président et Anzieu Secrétaire
général. Un Règlement intérieur détaillé sera
adopté en février 1954 ; il est stipulé que seuls les
membres dune société de psychanalyse peuvent
faire partie de ce syndicat.
Ce Syndicat sera actif
pendant une bonne dizaine dannées, jusquà
ce quune certaine usure, aggravée de dissensions
intestines, conduise à sa disparition de fait vers 1970.
Le terme " psychothérapie " nest
mentionné quoccasionnellement dans les documents
darchives disponibles ; il est clair cependant que
le champ dactivité des analystes non-médecins
regroupés professionnellement par ce syndicat était
conçu comme allant bien au delà de lanalyse de
divan, et que, sous couvert des termes " conseil
", " aide ", " rééducation ",
etc., il sagissait bien de ce que nous désignons
aujourdhui comme le champ des psychothérapies.
Dans lensemble, un
certain irréalisme semble présider à beaucoup de ces
initiatives, produisant des créations souvent
mort-nées, comme les " conseillers denfants
" et les " auxiliaires de psychanalyse ".
Ainsi, le 2 février 1954, lors dune séance
administrative de la SPP, est décidé la création
dune " Société Française de Psychothérapie
"... dont sont aussitôt désignés les membres
fondateurs : Francis Pasche, René Diatkine, Pierre
Mâle, Pierre Marty. Mais en ce cas encore il semble bien
que cet organisme soit resté virtuel.

Ce nest
dailleurs pas dans ces cadres institutionnels que
va évoluer le problème des psychothérapies ;
cest, dune part au niveau dune
réflexion de fond, dautre part dans la formation
des psychanalystes et dans leur pratique.
La question est bien
présente dans la réflexion : ainsi, au Congrès des
Langues Romanes de 1955 on annonce que R de Saussure
présentera un rapport sur " Psychanalyse et
psychothérapie " ; cependant, il faudra attendre
1963 pour quun Congrès soit consacré à cette
question, avec deux rapports de Michel Gressot ("
Psychanalyse et psychothérapie : leur commensalisme
") et de René Held (Rapport clinique sur les
psychothérapies dinspiration psychanalytique
freudienne ") (RFP, 1963, numéro spécial
Congrès). On peut remarquer en passant que ce terme,
" psychothérapies dinspiration
psychanalytique ", qui restera assez longtemps
ensuite en faveur, nest plus guère utilisé
aujourdhui, en partie sans doute parce que ce terme
" dinspiration psychanalytique " , est
lourd dambiguïtés, en partie peut-être aussi
parce quon a pu sourire de ceux qui, utilisant son
abréviation, déclaraient " faire des PIP "...
En ce qui concerne la
formation et la pratique, il est intéressant de
parcourir au fil des années, dans la période 1950-1965,
les programmes denseignement de lInstitut de
Psychanalyse. On constate alors en effet quune
place croissante y est accordée à des pratiques de plus
en plus diversifiées, jugées utilisables dans des cas
où la cure classique, divan-fauteuil, paraît difficile
ou inapplicable. Comme je lai signalé, il
sagissait dabord des enfants ; mais ensuite
on voit apparaître des formations à la psychothérapie
avec les adolescents, avec les psychotiques, dans les
affections psychosomatiques, etc. Par exemple, le
programme denseignement de lInstitut de
Psychanalyse pour 1962 mentionne : médecine
psychosomatique, psychanalyse denfants,
psychothérapies psychanalytiques, psychothérapies des
psychoses, mais ajoute : psychothérapie analytique de
groupe. Il ne sagit plus seulement en effet
dentretiens en face à face avec un patient, mais
aussi de psychodrame analytique, de techniques de groupe,
de thérapies familiales, de thérapies mère-bébé,
etc. Comme nous le savons, ces dispositifs nouveaux se
sont dailleurs en général développés sur le
terrain, dans le cadre dinstitutions où cela
répondait à des besoins réels, plus que dans notre
Institut de Psychanalyse, au point quon sy
préoccupe actuellement den tenir plus compte dans
la formation de base des analystes.

Je terminerai par quelques
brèves remarques dactualité, au risque de sortir
de lhistoire ; mais lhistoire ne sert-elle
pas à éclairer le présent ?
Il est bien évident que
nous avons beaucoup évolué sur ces problèmes. Personne
bien sûr ne soutiendrait plus aujourdhui que la
prise en charge psychanalytique des enfants est "
plus facile " que celle des adultes, ni que
cest plus facile parce que les enfants seraient
" moins complexes "... Mais les enfants ne sont
plus seuls en cause. Depuis ces années 50-60 sur
lesquels jai centré mon propos, notre champ
daction sest considérablement élargi,
notamment par la prise en charge des psychoses, des cas
limite, des psychopathies, des affections
psychosomatiques, des autismes et psychoses infantiles,
etc., cest à dire de structures pour lesquels la
cure classique, divan-fauteuil, paraissait
contre-indiquée. La pratique du traitement en face à
face sen est trouvée considérablement enrichie et
complexifiée : cest devenu un champ de réflexion
théorico-clinique majeur, et dont on peut prévoir
quil va continuer à retenir encore plus notre
attention dans les années à venir. Beaucoup en tous cas
ne considèrent plus comme autrefois que le face à face
est plus facile que la cure classique, bien au contraire,
car on entend parfois dire que le face à face est par
principe " plus difficile " que la cure
divan-fauteuil ; ce renversement radical de position ne
va pas sans inconvénients, dans la mesure où il
pourrait porter à croire que celle dernière est "
facile " : toute généralisation de ce genre est
évidemment dangereuse.
... Mais au delà de ce
dispositif en face à face, il nous a fallu inventer,
développer, de nouvelles techniques, de nouvelles
pratiques, comme celles du psychodrame analytique,
individuel ou en groupe, des prises en charge de la
famille dans son ensemble, des thérapies mère-bébé,
etc., et ici encore le champ de la réflexion
théorico-clinique est vaste, et cest sans doute un
facteur puissant de renouvellement de la théorie
psychanalytique elle-même. Il en résulte que, pour
clarifier notre langage, nous devrions nous habituer à
désigner du terme de " psychothérapie " tous
ces dispositifs, et non plus seulement le face à face.
Nous connaissons les
dangers qui nous guettent, dans une situation où, hors
de la psychanalyse ou sur ses marges, prolifèrent les
techniques psychothérapiques et les psychothérapeutes
de tout poil, des plus admissibles aux plus
charlatanesques, dans des entreprises où, aux yeux du
public, limage même de la psychanalyse est parfois
gravement compromise. Nous-mêmes ne sommes pas à
labri de compromissions, daffadissements de
la pensée et de la pratique où nous perdrions lor
pur au profit du cuivre, voire du plomb... Et, si se met
en place un statut de la psychothérapie, serons-nous ou
non psychothérapeutes ? la question est dune
brûlante actualité. Cest pourquoi, face aux
décisions à prendre, ce rappel historique était
certainement utile.

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